ANGLETERRE
J'ai temporairement quitté le monde de la psychiatrie, lors de la pause de dix années, après la fermeture de Coupe Circuit et l’obtention de ma subvention pour un projet pilote (cf ; la chronique Projet).
J’avais mis la main par hasard sur un petit manuel, provenant de Grande – Bretagne, qui allait devenir l’influence prédominante sur la conception de mon projet démonstration et des projets subséquents qui allaient s’en inspirer. Ce livre décrivait le fonctionnement de petites agences de service social de quartier ou de village, très décentralisées, qui répondaient aux besoins de proximité des résidents de la communauté, surtout les personnes âgées. J’avais été totalement fasciné par cette approche qui révolutionnait la structure des services et la façon dont on les procurait. A lieu d’être définie par les caractéristiques des clients « client – centered », selon le modèle traditionnel, la façon de procurer les services était définie par les caractéristiquesde la communauté « community – centered ».
Pour s’assurer que ce soient les caractéristiques des communautés locales qui influencent la pratique, les intervenants sociaux s’installaient là où vivait leur clientèle. On fermait les grosses agences de service social et on les remplaçait par des petites unités appelées des "patchwork shemes", la grosse équipe de praticiens était fragmentée en petites équipes qui étaient affectées à un village ou un quartier (entre 2,000 - 10,000 de population) et travaillaient en collaboration avec ce qu'ils appelaient les systèmes informels d'aide de voisinage. Je m’étais procuré un autre livre, qui décrivait, de façon très détaillée, le fonctionnement d’un de ces patches soit le patch de Normanton.
Puis, ayant appris que l’auteur principal de ces livres, Roger Hadley était le conférencier d’honneur à un congrès sur le bénévolat à Jérusalem, j’ai pu trouver une petite subvention pour me permettre d’y assister. Aussitôt arrivé, j’ai pris contact avec lui, lui disant que le Congrès ne m’intéressait pas tellement, car j’étais venu pour le rencontrer. Nous sommes devenus amis et collègues. J’ai fait quelques séjours en Grande Bretagne qui m’ont permis de visiter des partchwork schemes et Roger Hadley est venu au Québec afin de mieux connaître nos CLSC qui l’intéressaient beaucoup.
C'est lors d'un colloque interactif tenu à Brighton que j'ai entendu le docteur Bayley décrire comment l'équipe du patch de Dinington a débuté ses activités. La conférence du docteur Bayley était très impressionnante, non seulement dans son contenu mais aussi dans son style; car c'est d'une voix forte, tournant lentement la tête de gauche à droite, comme un prédicateur (il était ministre de l'Eglise d'Angleterre) qu'il nous avait décrit la démarche de l'équipe qui s'est localisée dans le village. Quittant les bureaux du siège social du Centre jeunesse, les intervenants s'étaient installés au coeur du village de Dinington, petit village minier du nord de l'Angleterre (7,000 h.), dans une maison mobile, surnommée "the hut". Au début les gens du village leur demandaient ce qu'ils faisaient là ; les intervenants ne le savaient pas très bien non plus. Pourtant, après quelques mois ils ont réussi à répondre à un plus grand nombre de demandes et ce, plus rapidement. Malgré ce succès spectaculaire, le Dr. Baley n'était pas satisfait car il aurait aimé répondre aux problèmes causés par les difficultés économiques (Bayley et al. 1985).
Par la suite j’ai visité le patch Honor Oak, un borough de Londres, installé dans un ensemble résidentiel regroupant plusieurs blocs à appartements construits entre les deux guerres pour loger les familles défavorisées. Il y avait une équipe complète d'intervenants, dont trois travailleurs sociaux, installée dans un des appartements, pour une population de seulement 2,000 habitants. L'équipe avait décidé de s'installer là où se trouvait leur clientèle; une étude ayant démontré que le tiers de leurs références provenaient de cet ensemble de HLM. Il faut dire, qu'au lieu d'être intégrés à la santé comme c'est le cas dans nos CLSC, les travailleurs sociaux étaient intégrés aux fonctionnaires affectés aux logements publics (perception du loyer, propreté etc…)
J’ai également visité le patch d’Islington, un borough défavorisé et multiethnique dont le patch disposait de six travailleurs sociaux et demi, et de quatorze auxiliaires familiales, pour une population de sept mille habitants; les locaux du patch étaient localisés de façon à ce qu'il ne faille pas plus de dix minutes de marche pour s'y rendre. Au départ, les membres de l'équipe se sont présentés aux résidents du quartier en faisant du porte à porte, puis peu à peu les gens sont venus venir faire un tour, certaines personnes ont offert leurs services. J’ai été impressionné par l'animateur de ce patch, un conseiller municipal qui croyait beaucoup à la démocratie locale.
Il avait mis sur pied des forums de quartier afin que les citoyens déterminent de quelle façon procurer les services et dépenser l'argent dans leur quartier. Très déterminé à ce que soient les personnes sous - représentées dans la démocratie locale (mères qui travaillent, minorités ethniques, personnes handicapées, jeunes ) qui prennent l’espace de parole et le pouvoir décisionnel, il avait demandé aux professionnels de ne pas intervenir pendant la première année. Les professionnels sont habitués à planifier et à organiser, ils ont aussi une grande facilité de langage. Étant donné le grand pouvoir d’attraction des façons de faire des professionnels il voulait laisser ces citoyens seuls jusqu'à ce qu'ils soient capables de s’organiser et de s'exprimer à leur propre façon.
Ce qui nous a frappés c'est la remarquable similitude dans la vision et les façons de faire entre ces expériences parallèles. En effet, toutes ces expériences avaient débuté de la même façon ; les intervenants s'étaient rendus visibles et accessibles auprès de la population locale, sans proposer d'activités spécifiques. Ils s'étaient mis à l'écoute des besoins et des problèmes et y avaient répondu d'une manière informelle, flexible et polyvalente en construisant sur mesure leurs réponses. Cela nous confortait dans l'idée qu'il s'agissait là d'une approche "naturelle" puisqu'elle s'était développée dans des milieux très différents, sans définition des notions clés et sans guide sur la façon d'intervenir.
L’approche « community centered » avait comme objectif que ce soient les caractéristiques de la communauté locale qui exercent une influence importante sur la façon dont les services étaient rendus. Le patch de Normanton a été le projet – phare, étudié en profondeur, qui nous a beaucoup servi comme outil de travail pour le projet pilote (cf la chronique Le Projet).
Pèlerinage à Normanton. Lors d'un séjour en Angleterre, nous avons voulu rencontrer l'ancienne équipe du patch, maintenant fermé comme beaucoup d'autres sous l'administration Thatcher. Peu intéressés par les explications théoriques de l'ancien responsable, nous voulions connaître l'esprit qui avait animé ce patch. La discussion avec les anciennes patchworkers a été assez émouvante, elles nous ont communiqué leur nostalgie face à cette forme de pratique maintenant disparue.
Nous avons également eu une discussion avec un gestionnaire qui nous a raconté l'expérience de East Sussex, théâtre d'une expérience de changements organisationnels intensifs. Ce gestionnaire nous a beaucoup impressionnés lorsqu’il nous a décrit comment il avait procédé pour fermer un Centre de services sociaux pour le subdiviser en quarante cinq patches.
Le principal obstacle à l'implantation de l'approche milieu chez nous était le fait que nos programmes structuraient nos services, comme nous a dit le professeur Hadley, en visite au Québec. Il fallait donc remplacer une gestion des services par programmes, par une gestion par territoire. La gestion par programmes, que l’on retrouve dans tous les services publics, fait en sorte que si une personne fait une demande de consultation, sa demande va être dirigée vers le programme de services qui correspond à sa problématique ou à son groupe d’âge. Par exemple, les jeunes femmes enceintes vont être dirigées vers le programme de périnatalité et les personnes âgées vers le programme de maintien à domicile. Une gestion par territoire fait en sorte que les services sont procurés aux personnes sur la base de leur lieu de résidence, plutôt que leur âge ou type de problèmes. Cette perspective nous a beaucoup inspirés au Québec dans nos expérimentations en approche milieu ( Cf "Approche milieu")