« Viens faire le trouble chez nous »
Inspirés par l’expérience du CLSC des Pays d’en haut (cf la chronique "L'approche milieu") , l'équipe de direction du Centre de réadaptation Normand Laramée avaient pris la décision de décentraliser leurs services au niveau des communautés locales. Le directeur adjoint, qui désirait m’engager comme consultant et formateur en approche milieu, m’avait dit qu’il était très surpris que j’aie répondu aussi rapidement à sa demande. Je lui avais expliqué que j’avais très envie de collaborer à un projet qui m’apparaissait un peu fou, car je considérais que c’était tout un défi que d’installer cette approche pour des services spécialisés de deuxième ligne.
La caractéristique principale de l'approche milieu que j'avais développée (voir les chroniques "Le Projet" et "Approche milieu") était que les intervenants professionnels sortaient de leurs bureaux et procuraient leurs services dans le milieu de vie des citoyens. Cela ne pouvait se faire qu'à l'échelle des communautés locales (quartier ou villages); le territoire couvert devait donc être relativement petit comme c'était le cas pour les services de première ligne procurés par les CLSC. Or les organisations de services de deuxième ligne couvrent un territoire beaucoup plus grand , ils se situent à un niveau régional.
Il s’agissait donc d’une démarche courageuse, une sorte d’aventure qui serait ponctuée de nombreux défis lesquels ne pouvaient être identifiés à l’avance. Avais – je rencontré quelqu’un de plus flyé que moi ? Il faut dire que ma réputation avait changé au cours des années ; au début de ma carrière on me qualifiait de « flyé » de « faiseur de troubles », alors qu’en fin de carrière j’étais devenu « créateur, innovateur ». J’ai d’ailleurs senti le besoin de le prévenir que j’avais la réputation d’être un « faiseur de trouble », je me souviendrai toujours de sa réponse « Viens faire le trouble chez nous ». Ça été le début d’une longue et fructueuse collaboration, entre faiseurs de trouble, on se comprenait.
À mon arrivée, j’ai été très impressionné par l’ampleur des changements organisationnels qui s’effectuaient, les équipes avaient été déstructurées et transformées en équipes territoire avec ouverture d’un local dans les communautés locales de l'Ile de Laval. La charge de cas (caseload) de chaque intervenant avait été redistribuée à d’autres intervenants sur la base du lieu de résidence des usagers; ces transformations sont définies dans le texte "Rapprocher les personnes avec DI des citoyens ".
J’ai été engagé comme conseiller et comme formateur des équipes. Par la suite, j’ai effectué une évaluation de la démarche à la demande de l'équipe de direction.
L’implantation de l’approche- milieu au Centre Normand Laramée
La seule autre expérience, que je connaissais, de transformations organisationnelles et modifications de pratique aussi profondes, venait de l’Angleterre. Un centre de services sociaux, de la région d’East Sussex, avait été décentralisé en 45 équipes dans les communautés locales patch teams (voir la chronique "Angleterre") . Pour pouvoir réussir une réorganisation d’une telle ampleur, autant à East Sussex qu’à Laval, il devenait indispensable que les gestionnaires mettent en place des conditions facilitantes qui sont définies dans un livre dont j’aime beaucoup le titre « Responsive public service ». La philosophie qui anime "Responsive public services" et l'approche milieu est que les besoins des gens et leurs conditions de vie doivent être l'influence prédominante sur la façon dont les services sont procurés. Trop souvent c'est l'inverse qui se produit, ce sont les usagers qui doivent s'adapter aux services. J’avais collaboré pendant plusieurs années avec le premier auteur, Roger Hadley, professeur à l’Université de Lancaster et j’avais pu avoir des discussions avec l’autre auteur K. Young le gestionnaire qui avait effectué ces changements ; j’ai rédigé un petit résumé - guide à l’intention des gestionnaires ( voir le texte Guide d’utilisation inspiré de « Creating a responsive public service »).
Une de ces conditions facilitantes consiste en ce que le savoir spécialisé soit rapidement et facilement accessible aux intervenants. Le directeur général du CRDI Normand Laramée m'avait posé une question à ce sujet, lors d'une rencontre avec l'équipe de gestionnaires, au démarrage du projet. "Quelle va être la place des connaissances spécialisées de deuxième ligne, dans le contexte de l'approche milieu ?" Je lui avais répondu que je ne le savais pas, car j'avais toujours travaillé en première ligne; il avait répliqué "C'est rassurant de se faire dire par l'expert qu'il n'a pas la réponse!" En effet la réponse ne pourrait venir qu'à la suite de quelques années d'expérimentations.
Pour plusieurs des éducateurs plus âgés, le défi était particulièrement difficile à relever, car ils ne se percevaient pas comme ayant une identité professionnelle de spécialiste, possédant des compétences exclusives. Mais j’avais pu constater que les éducateurs (ices) ne pouvaient échapper à leur rôle d'experts aux yeux des citoyens qu'elles côtoyaient. En effet, les citoyens désarçonnés devant certains comportements inhabituels auxquels ils étaient confrontés, avaient besoin de conseils et de coaching. Il était donc naturel qu’ils se tournent vers ceux qui possédaient ces connaissances spécialisées « On peut tu leur parler normal ? . .. « Qu’est ce qu’on fait s’ils font une crise ? «
Une pression semblable était aussi exercée sur eux à l’interne de la part de l’établissement. Ils se sentaient écartelés entre cette exigence d’accroître leurs compétences cliniques et la nécessité de développer une pratique plus généraliste, « La gratte est trop large » disaient - ils.
Plus tard, les gestionnaires ont accentué le rehaussement clinique de leurs éducateurs et ont trouvé un moyen de rendre le savoir spécialisé facilement accessible aux éducateurs de première ligne en attachant un intervenant spécialiste à chaque équipe.
Visibilité et accessibilité
L’approche qu’a emprunté le CRDI Normand Laramée pour « Rendre la frontière poreuse « a été que les éducateurs deviennent des personnages aussi familiers que le sont les postiers ou comme l’étaient les laitiers anciennement. L’expression « run de lait », inventée par les intervenants du CLSC Pays d’en haut, exprime bien le sens de la visibilité et accessibilité.
Les éducatrices (eurs) ont mis beaucoup d’enthousiasme et d’énergie à établir des liens avec la communauté, d’autant plus que les gestionnaires les avaient libérées pour qu’elles puissent avoir du temps pour faire leurs contacts. Elles (ils) ont des opérations portes ouvertes, des pique-niques, des ventes de garage, et surtout ont effectué des visites dans les organismes etc. Un bilan des résultats des équipes quartier, deux ans après leur implantation, met en évidence que l’opération visibilité et accessibilité semble avoir assez bien réussi. La plus grande visibilité, qui découle de ces activités de prise de contact, avait été confirmée par l’organisateur communautaire du CLSC local; il leur avait dit qu’elles connaissaient mieux la communauté que les intervenants du CLSC.
J'ai accompagné des éducatrices (leurs), lorsqu'elles(ils) effectuaient des visitesauprès des organismes communautaires. Lors d'une de ces visites les éducatrices, malgré tous leurs efforts, n'avaient pas réussi à amadouer la directrice d'un petit centre de jour; cette dernière était très distante et manifestait beaucoup de méfiance. Lors de la rencontre de discussion avec l'équipe, plusieurs éducatrices ont exprimé leur déception et leur frustration, après avoir vécu des expériences du même genre. J'ai expliqué que la raison probable d'une telle attitude, était la crainte que les éducatrices leur déversent ( dumpent) leurs clients avec une déficience intellectuelle. Les intervenants qui oeuvrent dans les services publics, soumis aux pressions de trop nombreux services à rendre, adoptent trop souvent une mentalité utilitariste face aux associations. Ils agissent comme si ces associations devaient se mettre au service de leur organisation, ce qui a comme effet de créer une réaction, souvent légitime, de méfiance. J'en ai profité pour énoncer un principe de base en approche milieu : il faut développer le réflexe de donner avant de demander. Des intervenants ont donc décidé d’aider une association à préparer les paniers de Noël, ce qui a été le point de départ d’un premier partenariat. Faire des paniers de Noel ne fait pas partie de la mission de l’établissement, mais les gestionnaires ont fait preuve de beaucoup de détermination et de courage en soutenant cette nouvelle forme de pratique.
Un autre exemple de partenariat est celui d’une équipe de quartier qui s’est associée aux responsables de la Guignolée, dans une paroisse. Un groupe formé de 3-4 intervenants et de 3-4 personnes présentant une déficience intellectuelle s’est joint aux différents bénévoles et assume diverses tâches : préposé au stationnement, réception de marchandises, collecte, porte-à-porte, etc. Cette activité annuelle a favorisé la réciprocité entre les deux organisations, car le Centre de Réadaptation Normand-Laramée a pu solliciter les associations de quartier pour différents besoins ponctuels comme, par exemple, des prêts de locaux.
La marginalisation
Voici quelques exemples de comportements qui rendent difficile l'intégration des personnes avec une déficience intellectuelle :
Une pétition des élèves d’une école pour adultes, réclame que les personnes avec une déficience intellectuelle ne viennent plus manger à la cafétéria avec eux, car elles ont des comportements qui les dégoûtent ; plusieurs personnes bavent en mangeant.
Une personne a été interdite à la patinoire municipale, parce qu’elle a oublié de changer de direction et est entrée en collision avec une personne âgée lui cassant la jambe
Une personne, qui prend un café au casse croûte, exprime sa joie en poussant des cris aigus
Les défis sont énormes et la marginalisation touche non seulement la personne avec une déficience intellectuelle, mais aussi sa famille, qui se retrouve dans une situation d'isolement social, comme nous verrons plus bas.
Au cours de mon implication comme formateur et consultant auprès de la direction, j’ai mis sur la main sur un petit livre absolument fascinant, publié chez un éditeur peu connu, qui jetait un éclairage tout à fait nouveau sur ce défi et permettait non seulement de mieux le comprendre mais donnait une orientation aux interventions les plus appropriées ; j’ai d’ailleurs invité l’auteure principale à venir discuter avec nous (Pedlar et al., 1999).
Madame Pedlar parle d’une sorte de frontière invisible qui se forme autour de la personne, car son identité se retrouve réduite à sa déficience intellectuelle. Par exemple, dit – elle, il ne suffit pas de conduire un groupe de personnes en transport adapté, dans un centre de loisirs publics, afin qu’ils pratiquent une activité ensemble. Si ces personnes ne sont pas en interrelations avec la collectivité, on ne fait alors que remplir leur temps et les tenir occupées. Cela crée une bulle autour de la personne en la maintenant dans une sphère de marginalisation et en l’empêchant de devenir citoyenne à part entière. « Il s’agit d’un monde refermé sur lui-même comme la culture de la pauvreté et qui bloque les chemins même si la communauté est ouverte » (Pedlar et al., 1999, p. 120). (Voir le texte « Rapprocher les citoyens des personnes avec déficience intellectuelle » )
La bulle est le produit de l'interaction entre la personne vivant des incapacités intellectuelles, le citoyen et l'intervenant. La personne projette une image d'elle-même définie par l'incompétente sociale à cause de ses comportements et anti - sociaux ; ce qui contribue à maintenir le citoyen éloigné à cause de ses malaises, de ses inconforts et parfois aussi de ses préjugés ; ce qui est renforcé par les attitudes protectrices de l’intervenantqui maintient la personne dans un univers occupationnel et ne l’expose pas aux défis de la vie en société.
J'ai souvent eu des débats animés avec les intervenants leur reprochant le fait qu'ils leur apprenaient tout sauf l'essentiel, c'est - à dire les règles de base de la vie en société. Je me souviens avoir dit à un gestionnaire, qui me disait que leur handicap intellectuel les rendait incapables d’acquérir des habiletés sociales : « On apprend bien à un chien à ne pas japper !"
Lors d’un accompagnement avec une éducatrice, elle me présente une personne avec déficience intellectuelle. Celui – ci me serre le cou avec deux doigts, l'éducatrice le stoppe immédiatement et lui dit, tout en le démontrant, qu’il doit me serrer la main ce qu’il fait de bonne grâce ; elle m’explique qu’il a répété sur moi le geste que fait l’orthophoniste. Je n’avais pas ressenti de peur car je ne sentais pas d’agressivité de sa part. Mais l’éducatrice me raconte qu’elle dû mettre beaucoup de temps pour rassurer une femme âgée qui avait été terrorisée par ce geste d’accueil peu habituel.
Apprivoiser les citoyens
Il s’agit, dans ces situations, de percer la frontière créée par les peurs et les malaises du citoyen. La stratégie consiste à retourner aux mêmes endroits, aux mêmes moments, avec les mêmes personnes ; une certaine familiarité s’installe alors progressivement. (Voir le texte « Rapprocher les citoyens des personnes avec déficience intellectuelle » ).. Plus les personnes ont des besoins complexes, plus elles présentent des déficiences lourdes et plus le processus d’apprivoisement demande du temps. Par exemple, il a fallu retourner plusieurs fois à la bibliothèque avec une personne paraplégique et peu verbale.
Voici ce qu’une éducatrice de Normand Laramée m’a dit, lorsque j’ai fait le tour des équipes pour mon bilan. Cette citation illustre jusqu’à quel point peut aller la collaboration des citoyens :
« Le monsieur du bowling avait peur au début et n’osait pas s’approcher. C’est lui maintenant qui s’occupe du groupe, il a notre numéro de téléphone pour nous contacter au besoin. Il a faitun cheminement avec les personnes non - autonomes, il a appris leur nom, ça s’est fait graduellement »
J’ai suivi une éducatrice au Dunkin Donuts, où elle se rendait régulièrement avec une personne lourdement handicapée. Lorsqu’est venu le temps de porter son cabaret pour le vider dans la poubelle, l’éducatrice poussait légèrement le cabaret, à l’insu de la personne pour lui faciliter la tâche. J’ai pu observer que les clients observaient attentivement la scène, une dame a dit à propos de l’éducatrice « Quelle belle vocation ! ». J’ai amorcé un échange avec cette dame et me suis permis de lui expliquer que c’était son travail rémunéré. L’éducatrice m’a expliqué qu’il lui a fallu un certain temps avant d’apprivoiser les clients du Dunkin Doughnut, car au début la personne exprimait sa satisfaction par des cris stridents. Cette visibilité régulière et constante a fait tomber les peurs, permettant l’éclosion de relations significatives. Par exemple l’éducatrice m’a dit qu’il lui arrive de demander à un voisin de table de garder un œil sur la personne lorsqu’elle s’absente pour aller aux toilettes.
Un usager, au début de la cinquantaine, ne souhaite plus avoir de stages ni participer à des loisirs ségrégués, mais plutôt passer du temps à socialiser dans les endroits publics. Compte tenu de ses caractéristiques, ce souhait pourrait le mettre en situation d’être exploité et abusé. L’éducatrice s’est rendue compte qu’il existait déjà un filet de sécurité autour de cette personne, plus particulièrement au Harvey’s où Roger entretient des rapports réguliers avec un homme retraité et une dame dans la quarantaine. L’homme retraité protège les droits de Roger, par exemple en revendiquant en son nom le deuxième café auquel il a droit lui aussi. Il surveille sa diète, surtout en ce qui concerne la consommation de sucre, car Roger est diabétique. Chaque soir, l’usager revient chez lui soit avec cet homme, soit avec la dame. Madame a comme travail la distribution des « publi-sacs ». Roger aime travailler avec elle, même s’il n’est pas payé, mais cette situation inquiète l'employeur de la compagnie des « publi-sacs ». L’éducatrice offre son soutien à ce réseau informel en maintenant un contact régulier avec cet homme et cette dame. Ainsi l’homme informe régulièrement l’éducatrice des événements problématiques, lui disant par exemple qu’il a empêché un employeur de l'engager sans le payer. L’éducatrice a également fait des démarches pour que la distribution de publi sacs devienne un stage de travail accrédité par le centre de réadaptation. Lorsque l’usager s’est amouraché de la dame et a annoncé qu’il souhaitait l’épouser ; l’éducatrice a pu organiser une rencontre pour clarifier les choses. La dame lui a dit qu’elle l’aimait beaucoup, mais comme son enfant. L’éducatrice a donné des moyens à la dame tout en la sensibilisant à la déficience intellectuelle.
Voici un exemple, tiré d'une session de formation à Québec, qui illustre une intervention tout- à - fait exemplaire, qui est parvenu à briser la bulle. Ces interventions se sont pourtant déroulées dans un lieu qui représente le prototype même de l’institution sans mur qui maintient la frontière autour des personnes ; soit le salon de quilles :
Les éducatrices prennent contact avec le propriétaire d’un salon de quilles pour obtenir une plage horaire afin qu’un groupe de leurs clients, vivant une déficience intellectuelle, puisse jouer aux quilles. Elles refusent la proposition du propriétaire qui leur offre la plage horaire du dimanche matin, moment où le salon est peu fréquenté. Avec beaucoup de détermination et de force persuasive; elles réussissent à obtenir que leurs personnes, avec une déficience intellectuelle, jouent le samedi soir qui est très fréquenté. Elles nous racontent les péripéties qu’elles ont vécues lors de la première soirée plutôt mouvementée. Leur allée de quilles était à coté de l’allée utilisée par des professionnels qui se pratiquaient pour les compétitions à venir. Étant donnée la mauvaise coordination motrice de certains des usagers, il arrivait que la balle de quilles tombe dans l’allée voisine des experts. De plus, ceux – ci prenaient des boules collantes, parce qu’enrobées de nourriture, laissée par les personnes avec déficience intellectuelle, qui ne s’essuyaient pas les mains avant de jouer. Une jeune employée du petit casse croute, interpelle une éducatrice à voix basse car elle est apeurée; elle lui dit qu’une des personnes s’est servie de bière mais a laissé le robinet ouvert, ce qui fait que la bière s’est répandue sur le plancher. Une autre personne autiste aime arracher les bijoux des dames et fait une crise, en se roulant sur leplancher, lorsqu’on l’en empêche.
Mais, après un certain temps, le préposé du salon de quilles, qui avait observé la scène, dit aux éducatrices « Je crois à votre affaire, je vais vous aider ! « et participe activement à l’encadrement des usagers, lorsqu’il est libre. Une dame, témoin de la crise de rage de l’usagère dit « Pauvre petite chouette ! « et lui parle doucement pour la calmer.
Le danger de l’exploitation
En voulant abolir les frontières et éviter la marginalisation, les intervenants font courir un grand risque aux personnes avec une déficience intellectuelle ; elles les exposent à l’exploitation. Leurs usagers ne bénéficient plus de la protection que leur garantissait l’institutionnalisation et leurs caractéristiques personnelles les rendent particulièrement vulnérables. Voici ce qu’a raconté une éducatrice désemparée et impuissante :
Une jeune adulte qui vivait de façon autonome en appartement a été repérée par un groupe de jeunes un peu plus âgés qu’elle, qui ont des comportements délinquants. Elle très fière d’appartenir à ce groupe qui jouit d'un certain statut social. Elle apprécie énormément l’attention dont elle est l’objet. Les jeunes utilisent son appartement à loisir, y font des partys bruyants. Cela la met en difficulté avec les voisins et le propriétaire. Un des jeunes, qui lui a dit qu’il l’aimait, lui a emprunté sa carte de guichet. Il se sert à même son compte de banque, jusqu’à le vider. L’éducatrice, nouvellement arrivée dans le dossier, éprouve de la difficulté à convaincre la jeune fille des méfaits qui découlent de cette relation. Elle se trouve en effet dans une sorte de lutte d’influence avec le chef de la bande, qui exerce un grand pouvoir d’attraction sur la jeune fille.
Voici d’autres exemples :
Une autre personne s’était trouvé des amis normaux, c’est super, « On va monter dans le nord, on va aller chez un gars qu’on connaît, attend nous dehors », les amis ressortent de la maison avec du matériel qu’ils viennent de voler, les autres se sauvent, il reste dans la voiture et se fait arrêter.
Un autre usager fait des retraits fréquents de son compte de banque afin de remettre l’argent à son chum. Il refuse que l’intervenante se mêle « C’est mon ami ne te mêle pas de ça. « Tu ne touches pas à ça, c’est moi qui décide, c’est mon argent ».
Un couple recrute des usagers à la danse du vendredi soir et leur promettent de bien s’occuper d’eux. Ils les font déménager, réussissent à couper les contacts avec leur famille et leur réseau et s’emparent de leurs biens et ressources financières. Lorsque contactés les policiers disent que c’est inutile d’aller en cours, car les avocats réussissent à faire changer la version des faits et ainsi miner la crédibilité de l’usager.
Comme formateur, j’ai reçu de nombreuses et pressantes demandes de la part des éducatrices qui se sentaient à court de moyens pour faire face à ce défi. Au lieu de me mettre sur les épaules la responsabilité de trouver la solution, j’ai décidé d’animer des ateliers, regroupant des éducatrices, afin que les solutions proviennent des intervenants – terrain ( voir le texte « Rapprocher les personnes avec déficience intellectuelle des citoyens, »).
Enfin, on pourrait dire que l’humanisme et le souci éthique des éducatrices (eurs), les empêchent d’avoir recours à des stratégies peu recommandables pour lutter contre les personnes délinquantes, comme l’illustre l’exemple suivant ;
Un intervenant, à la retraite d’un CRDI en province, se fait appeler par un ex client avec qui il avait établi une excellente relation au fil des années. Celui ci se plaint qu’il lui manque toujours $300.00 à chaque mois, après qu’il aie payé son loyer. L’ex chef d’équipe, se sentant libéré de ses obligations, liées à l’éthique professionnelle, me dit avoir rapidement réglé le problème en menaçant le propriétaire – exploiteur.
Références
Baelde, P., Coppin, B., Le Cerf, J-F., Moureau, B.( 2000) Comprendre et accompagner les parents avec une déficience intellectuelle. Gaétan Morin Europe.
Gagné, Jean – Pierre (2001) . Extrait d’une conférence prononcée au Congrès de l’AQUIS, mai 2001
Gosselin, C. et Gagnier, J-P. (1997) « A la rencontre des grands-parents de petits-enfants ayant une déficience intellectuelle » Rapport non-publié disponible auprès du Centre Normand-Laramée..
Gosselin, Colette (1994) : « La fratrie…Vivre en famille quand un frère ou une sœur a une déficience intellectuelle » Guide d’animation à l’usage des professionnels qui travaillent auprès de familles dont une personne a une déficience intellectuelle.
Guay, J. ; Lemay, J. ; Morin, G.; Thibodeau , Y. ; Gosselin, C. Archambeault, D. ;Bergeron, M. ; Blanchet, J. ; Boissonneault, M. ; Bonin, P. ; Lalande, M.C. ; Emard,F. ; Trépanier, C. ; “Les compétences inexploitées du réseau social des familles de personnes vivant des incapacités intellectuelles : rapport final “ (2001) Centre Normand Laramée.
Lavoie, F. (2001) Les groupes de soutien et les groupes d’entraide. Dans (Dufort, F. et Guay J.)Agir au cœur des communautés. La psychologie communautaire et le changement social. Les Presses de l’Université Laval, Sainte-Foy, 2001.
Thibodeau, Y. et Guay, J. Guide d’interventionn auprès des réseas sociaux des familles des personnes présentant des incapacités intellectuelles (2001) Centre Normand Laramée.
Pedlar, A. Haworth, L., Hutchison, P. Taylor, A. and Dunn, P. (1999) A textured life : empowerment and adults with developmental disabilitiesWilfrid Laurier University Press,
Hadley, R. et Young, K. (1990) Creating a Responsive Public Service" Harvester Wheatsheaf , New York, London.