California dream
Après l'obtention de ma maitrise à l'École de psychologie de l'Université Laval, et lors de mes études doctorales, j'ai voulu parfaire ma formation en psychothérapie et cherché les lieux de stage les mieux cotés. J'avais fait application et avais été accepté au très renommé Tavistock Institute de Londres, mais j'ai choisi la Californie, suite à une conférence donnée par Hedda Bolgar, une des co - fondatrices du California School of Professional Psychology et directrice du service de psychologie du Cedars Sinai Hospital de Los Angeles. Lors de cette conférence elle m'avait fait rêver en décrivant cette nouvelle école professionnelle conçue par et pour les psychologues cliniciens ! L’éducation et la formation des psychologues professionnels, jusqu’au milieu des années ’60, avaient été contrôlées par l’APA une organisation académique avec un biais anti - professionnel: les cours cliniques étaient donnés par des professeurs sans expérience clinique. La California School of Professional Psychology (CSPP) voulait renverser l’ordre des choses de telle sorte que la formation clinique soit prise en mains par des cliniciens. La fondation de cette école professionnelle était aussi une des manifestations de la plus grande prise de pouvoir des psychologues professionnels face à leurs collègues académiciens qui dominaient jusque là l’APA.
Je n'ai eu de cesse de réaliser ce rêve californien; en faisant d'abord un court séjour pour une entrevue qui m'a permis de me faire accepter comme stagiaire au Cedars Sinai Hospital.
Je prends la route vers Los Angeles au lendemain de la découverte du cadavre de Pierre Laporte. Nous empruntons la mythique route 66, tout au moins les parties qui en restaient, pour traverser les Etats Unis. Nous sommes interceptés en Arizona par un state trooper qui fouille notre valise à cause des troubles liés au FLQ. Arrivé à Los Angeles, je me rends dans un salon de barbier et je lui dis que je viens de faire plusieurs milliers de kilomètres pour venir me faire couper les cheveux dans son salon. Il n’est pas impressionné «Everybody comes from somewhere else here», me répond – il. Je viens de quitter une ville mono ethnique (Québec) pour arriver dans une ville multi ethnique où la majorité des gens parlent anglais avec un fort accent. Je croyais que je parlais mal l’anglais, mais on m’a répondu que je le parlais très bien. La majorité des habitants de Los Angeles parlaient anglais avec un fort accent, et mon accent français était très plaisant aux oreilles des californiens qui aiment tout ce qui est français.
La Californie a une image de paradis, pour les Québécois, à cause de la température et des plages. Il est vrai que les petites villes hors de Los Angeles, comme La Jolla, Malibu ou Santa Barbara, peuvent nous paraître comme des paradis, de même que les villages, qui bordent l’océan, sur la Ocean drive qui va de Los Angeles à San Francisco. Mais à Los Angeles, on a plutôt l’impression de vivre en enfer. C’est une ville très étendue, traversée d’autoroutes continuellement bloquées par des bouchons de circulation. Le smog, devenu très épais en fin d’après midi, donne la migraine et fait pleurer des yeux.
Et puis il y a la menace constante de feux, causée par le fait qu’on a voulu reverdir le désert en y plantant un type d’arbres non adaptés au climat trop sec et dont la sève est aussi inflammable que l’essence. A partir du mois d’août jusqu’en décembre, mon superviseur de stage et sa femme apportent avec eux les documents importants et des vêtements de rechange, en quittant leur domicile chaque matin, au cas où leur maison brûlerait en leur absence. Je me souviens d’avoir assisté à un feu d’artifice du quatre juillet, au domicile d’un collègue, qui tenait le boyau d’arrosage à la main et courait pour arroser la moindre petite étincelle.
Il ne faut pas oublier les écoulements de boue, lors des pluies d’hiver, qui font débouler les collines déboisées par les feux. Enfin, il y la crainte d’un tremblement de terre ; le mythique « big one » qui va précipiter la Californie dans l’océan. Nous en avons fait l’expérience peu de temps après notre arrivée ; réveillés par des grondements sourds, nous avons cherché à rejoindre la sortie mais nous n’arrivions pas à avancer car le plancher était comme secoué par des vagues. Une fois à l’extérieur, au lever du soleil, il y avait beaucoup de poussière suspendue dans l’air comme si on avait secoué un tapis, on entendait les sonneries d’alarme des commerces, déclenchées par les secousses. Un jeune américain, voyant notre air hébété, nous dit avec son humour typiquement californien «Welcome to California ! ». C'est la mentalité "west coast" c'est - à - dire "cool" ou "laid back" .
Lorsque nous avons commencé à faire nos promenades d’après souper, comme nous en avions l’habitude nous avons rapidement compris que c’était la chose à ne pas faire; nous ne pouvions marcher seuls le soir dans les rues de Los Angeles. On nous a expliqués que, la Californie étant la dernière frontière des Etats Unis, tous les marginaux, les déviants et les désaxés s’y retrouvaient. Il y avait le phénomène des « joy killings », c’est à dire des homicides arbitraires faits sans aucune raison. Je me souviens encore d’une personne qui arrive à une réunion, en proie à des tremblements incontrôlables, il nous raconte s’être fait tirer sur l’autoroute par des jeunes qui voulaient s’amuser.
Une année avant notre arrivée, des jeunes filles s’étaient introduites dans un party à la résidence de l’actrice Sharon Tate et l’avaient tuée de même que ses invités. Elles avaient ouvert au couteau le ventre de l’actrice enceinte pour y arracher le bébé, puis elles avaient écrit « Helter Skelter » avec son sang sur les murs.
Ces meurtres horribles avaient été commandés par Charles Manson ; il avait entraîné des jeunes filles, à l’allure angélique, à commettre des crimes considérés parmi les plus horribles dans l’histoire des annales criminelles. Lors de son procès, Charles Manson avait dit qu‘il avait recueilli ces jeunes femmes, abandonnées par la société, et qu’il les avait nourries et logées. Charles Manson semblait posséder la lucidité de Satan dont il était l’incarnation même ; il avait dit, en se retournant vers l’assistance qui assistait à son procès, « Et vous pouvez m’accuser de votre folie … mais je ne suis que ce qui vit en chacun de vous. Mon père c’est la prison, mon père c’est votre système. Je suis ce que vous m’avez fait. Je ne suis que votre reflet. « (Bugliosi et Gentry, 1977, p. 382). La couverture d’un magazine populaire semblait bien résumer les sentiments de l’époque même un acteur, qui jouait des rôles de durs, avait peur. “Evil lurks in California, Lee Marvin is afraid “
La terre du make believe
Nous nous sommes dit "Ils sont fous ces californiens " en apprenant par les journaux qu’un pont, de la ville de Londres, avait été démantelé pierre par pierre, pour être reconstruit dans le désert de l’Arizona. Le lord mayor de Londres avait été invité pour l’inauguration mais, comme il n’y avait pas de rivière, on avait détourné un ruisseau pour qu’il passe dessous.
C’est la terre du make believe. Nous sommes à Hollywood, terre de Dysneyland et de Universal studios, que nous visitons à chaque fois que nous avons des invités. Nous sommes allés dîner dans un restaurant médiéval reconstitué jusque dans les moindres détails, y compris dans la façon de manger sans ustensiles.
C’est le pays du bonheur artificiel, mes collègues américains, qui faisaient leur internat en même temps que moi parlaient du Doris Day sindrome , c’est à dire de cette obligation de toujours avoir l’air heureux. «How are you today honey ? » se fait – on toujours demander dans les commerces ; une fois j’avais répondu que j’allais très mal ce qui avait jeté un froid autour de moi. « Fight boredom with Suzuki « affirmait un énorme tableau publicitaire montrant un motocycliste dans le désert au coucher du soleil. J’avais l’impression que la culture californienne était basée sur la négation des sentiments désagréables comme l’ennui, l’angoisse et la détresse.
C’était l’époque des expérimentations personnelles et sociales, selon le motto de Timothy Leary, le gourou du LSD, "Turn on, tune in and drop out". Nous étions tous très attirés par les niveaux supérieurs de conscience, stimulés par exemple par la drogue. Les livres de Carlos Castaneda, anthropologue décrivant son apprentissage auprès d’un sorcier du nord du Mexique, étaient très populaires.
J’ai profité de mon séjour pour participer à quelques thérapies comme client par exemple la thérapie sexuelle. Certaines de ces thérapies étaient un peu ésotériques, comme jouer dans un grand carré de sable avec des objets et des personnages miniatures ou participer à un nude marathon dans une piscine. Dans ce nude marathon, qui durait toute une fin de semaine, tout comportement, à caractère sexuel était prohibé, sous peine d’expulsion, car l’objectif était de provoquer la régression. Les heures de sommeil étaient diminuées, afin de favoriser la catharsis émotive, le médium aquatique permettait d’aller beaucoup plus loin dans l’expression des émotions, comme la colère, car le risque de blessure physique était quasi inexistant.
C’était la sous culture de l’hédonisme, l’époque du feel good" . Si on disait « Because I feel like it » on pouvait justifier n’importe lequel comportement, hormis les gestes qui pouvaient blesser ou tuer quelqu’un d’autre; c'était l’argument suprême.
Mon apprentissage de la psychothérapie
Le département de psychiatrie de Cedars Sinaï était constitué de quatre composantes : Cedars - adulte et enfant /famille dans la partie défavorisée de Los Angeles et Sinaï - adulte et enfant/famille à Beverly Hills. Nous pouvions bénéficier de plusieurs heures de supervision individuelles par des superviseurs différents. L'objectif du stage était de nous exposer à plusieurs formes de psychothérapie lors de la première année (individuelle, groupe, familiale) afin que nous puissions choisir lors de la deuxième année. La psychothérapie des psychotiques se faisait dans un esprit où on devait limiter le plus possible l'hospitalisation et la médication; nous devions nous investir personnellement.
Je vivais vraiment un rêve car les psychiatres et psychologues étaient parmi les plus renommés au Etats Unis. Judd Marmor, le directeur du département de psychiatrie, avait été président de l'association américaine des psychiatres et de l'association des psychanalystes américains. Je me souviens avoir vu une photo autographiée de Freud lors de ma première rencontre de supervision de groupe dans le bureau de Mme Bolgar; j'étais très impressionné ce qui me rendait timide.
Mais il existait une attitude d’accueil et une grande ouverture d’esprit, qui faisait qu’on était accepté d’où qu’on vienne, le statut n’était pas important, seule la compétence comptait. A cet égard, je vais toujours me rappeler d’un événement - clef où, même si je me sentais très petit dans mes souliers, je m’étais risqué à faire des remarques au directeur de la clinique enfant - famille de Sinaï à propos d’une entrevue familiale, qu’il avait faite devant le miroir sans tain. Il avait trouvé mes commentaires tellement intéressants qu’il les avait écrits ; j’ai eu l’impression de grandir de plusieurs pouces, mon sentiment de compétence s’en était trouvée renforcé.
Un autre souvenir de cette grande ouverture d'esprit remonte à un Grand Rounds. Chaque semaine avait lieu le Grand rounds qui était l’événement le plus important et le plus officiel de la semaine; il s'agissait de présentations de cas auxquelles tout le personnel assistait. Les patrons et superviseurs étaient parmi les plus connus et respectés aux Etats Unis; plusieurs étaient des célébrités. L’évaluation diagnostique était une chose très sérieuse qui devait être rigoureuse et scientifique. Or, lors d’un de ces Grand rounds (discussion de cas élargie) un intervenant social a présenté l’analyse diagnostique de son client en se basant sur le livre de l’Horoscope chinois; c’est - à - dire en ouvrant les pages du DSM que lui indiquaient les sous noirs jetés sur la table. J’ai été très frappé par l’attitude de très grand respect avec lequel les psychanalystes autour de la table ont écouté la présentation même si nous savions tous qu’ils trouvaient cette façon de procéder farfelue et peu sérieuse.
Le département de psychiatrie de Cedars Sinaï, qui s’appelait un Community Mental Health Center, avait une perspective communautaire; nous devions apporter notre contribution à la communauté. Ainsi, comme mes collègues, j’ai animé des groupes de discussion (rap groups) dans une école secondaire où les élèves devaient partager leurs locaux avec des élèves d’une autre école détruite par le tremblement de terre. On s’est également impliqué auprès de sinistrés des feux qui brûlent plusieurs résidences à chaque automne.
Franz Alexander avait été le directeur du département de psychiatrie où je faisais mon stage et son influence était encore très forte. A la différence de l’approche analytique classique, son approche, dite de l’École de Chicago, ciblait le processus plutôt que le contenu. Elle se centrait sur les transactions qui se passaient entre le client et le thérapeute afin que le client réalise l’effet négatif de ses patrons d’interaction. La psychothérapie permettait au client de faire l’expérience que d’autres modes d’interaction étaient possibles. En somme, la relation psychothérapeutique a des impacts positifs si le thérapeute, changeant ses propres façons d’interagir avec le client, amène le client à changer les siennes, de telle sorte à ce qu’il en vienne à vivre une « expérience émotionnelle correctrice », selon l’expression d’Alexander.
Une des mes superviseures me disait que je connaissais très bien la théorie psychanalytique mais qu’elle ne m’intéressait pas. C’est vrai car j’ai toujours eu une grande méfiance envers la théorisation qui ne me semble pas coller à la réalité, surtout lorsque ces théories explicatives se contredisent. Je pense n’avoir retenu de la psychanalyse que l’essentiel, c'est-à-dire la formation personnelle qui nous transforme comme personne. Cette formation personnelle comporte trois composantes : la thérapie personnelle, la participation à un petit groupe de contre - transfert et la supervision individuelle. Une superviseure m’avait dit mes clients attendraient que je fasse des progrès personnels, dans ma thérapie, avant d’en faire eux-mêmes ; c’est exactement ce qui s’est produit. Dans les groupes de contre transfert, les collègues thérapeutes partagent les réactions émotives que leur font ressentir leurs clients. De pouvoir les exprimer librement, hors de la situation de thérapie, aide les thérapeutes à apprivoiser leurs émotions afin d’en arriver à s’en servir comme principal outil thérapeutique. La supervision vient compléter ce processus qui nous conduit vers une amélioration de notre pratique.
En plus de ma psychothérapie individuelle, qui était obligatoire, j'ai également participé comme client à deux psychothérapies de groupe. La première regroupait les stagiaires en psychologie du département de psychiatrie du Cedars Sinaï Hospital. Les échanges très émotifs ont soudé des liens très forts entre nous, à tel point que lorsque j'ai revu deux de mes collègues plusieurs années plus tard, nous avions l'impression de s'être quittés la veille. L'autre psychothérapie de groupe de style Bion, empruntait l'approche psychanalytique stricte. Au cours des premières semaines, le psychothérapeute n'intervenait pas du tout sauf pour faire une interprétation à la toute fin de la session. Plus tard, les interventions du psychothérapeute se limitaient à des interventions du type "What is happening now ?" ou encore "What happened before ?" Cette façon d'animer (ou de ne pas animer) le groupe nous forçait à créer, par nous mêmes, la dynamique du groupe; j'y ai vécu des réactions émotives très intenses.
J’ai eu quelques formations en thérapie familiale, mais il y en a une dont je me souviens particulièrement. Elle avait été donnée par une femme qui était très impressionnante, une sorte de force de la nature. Nous devions recopier intégralement le verbatim d’une première entrevue avec une famille, que nous devions apporter ensuite pour supervision en groupe. S’il ne se produisait pas des changements majeurs lors de l’entrevue subséquente à la supervision (également recopiée), nous étions exposés à échouer le cours. Mon niveau de stress était très élevé car je doutais beaucoup de mes compétences même si je recevais des commentaires très positifs de la part de mes autres superviseurs. Souffrant sans doute du syndrome de l’imposteur, j’attribuais leurs appréciations positives au fait que je réussissais à les manipuler en leur présentant mes entrevues sous un beau jour. J’étais convaincu que mon incompétence serait étalée au grand jour lors de cette supervision. Après avoir lu mon compte rendu et en avoir écouté l’enregistrement verbal, elle a trouvé que j’étais peut – être un peu agressif avec la mère de la famille : « there must be a witch in your life », m’a t’elle dit, faisant référence à ma mère. Quoiqu’il en soit, ma deuxième entrevue s’est très bien déroulée et j’ai accepté ses commentaires positifs « I took it in » ; ça été un moment marquant dans ma carrière.
L’enfant sauvage
Ma dernière année de stage s’est déroulée au Children's Hospital de Los Angeles où j’ai poursuivi ma formation et consolidé mes acquis. Ce que je retiens surtout de mon séjour c’est ma rencontre avec l’enfant sauvage le plus célèbre du siècle dernier, un livre a été écrit sur elle de même qu’un documentaire diffusé sur PBS (NOVA 1994). Mon superviseur chef psychologue du département de psychologie, avait pris en famille d’accueil une enfant qui avait été enfermée dans une petite chambre noire, attachée dans une sorte de camisole de force et placée dans un lit couvert de fils de fer. Lorsqu’elle a été découverte à l’âge de 13 ½ ans, elle ne savait pas parler, elle ne pouvait se tenir debout ou étirer ses jambes et bras, elle marchait avec difficultés en se traînant les pieds et en se dandinant. Elle ne pesait que 59 livres et mesurait 54 pouces, elle était incontinente, elle ne réagissait pas au chaud et au froid, ne savait pas mastiquer et ne mangeait pas de solides
Génie avait vécu dans un état de déprivation sensorielle presque totale, il n’y avait ni TV ni radio et personne ne lui parlait, elle était battue lorsqu’elle faisait des sons. Seul le bruit de la circulation entrait par les fenêtres couvertes par des rideaux. Génie ne parlait pas et tous les plus grands spécialistes du développement cognitif sont venus l’évaluer, un livre décrit en détail son apprentissage du langage (Curtiss,1977). A mon retour à Québec, en 1979, j’ai été boursier de l'Ecole de Psychologie, l’Ecole de Service Social, et de l'Hotel -Dieu du Sacré Cœur de Québec pour organiser la visite de mon superviseur qui est venu présenter l’enfant sauvage qu’il avait hébergée et étudiée.
L’histoire de Génie ne se termine pas aussi bien que dans les films hollywoodiens. Mon superviseur et son équipe ont été accusés d’en avoir fait un sujet d’expérimentation; elle a été placée dans des familles d’accueil où elle a encore été abusée; aux dernières nouvelles elle aurait résidé dans un foyer de groupe.
Études doctorales
En 1971, j’ai été admis au California School of Professional Psychology, pour terminer mon doctorat; ma scolarité de doctorat, faite à l’Université Laval, a été acceptée. J’ai dû rédiger une autre thèse de doctorat et prendre quelques cours en soirée, de telle sorte que j’ai pu continuer ma formation toute la journée (Field placement) au Cedars -Sinaï Hospital en 1971 – 1972 et au Children’s Hospital de 1972 à 1973.
Sans en être complètement conscient à cette époque, je participais à une aventure qui était en train de transformer la psychologie américaine. Nos locaux étaient inadéquats, on n’avait pas de bibliothèque digne de ce nom. Il y a eu des dons de livres par des collègues emballés par l’idée des écoles professionnelles. Plusieurs psychologues ont fait du bénévolat comme thérapeutes et comme professeurs.
L’année académique durait onze mois, équivalait donc à une année et demie. Tous les cours se tenaient le soir, car la journée était consacrée à la pratique supervisée de la psychothérapie (field placement), les élèves devaient suivre une psychothérapie personnelle. Tous les professeurs devaient maintenir une pratique clinique, la plupart n’avaient pas de permanence, car ils étaient recrutés pour un cours à cause de leur expertise pratique dans le domaine. La plupart de cours étaient appliqués; J’y ai appris l’hypnothérapie ; l’objectif de notre formateur était de nous faire comprendre de l’intérieur l’approche de Milton Erikson, célèbre psychothérapeute. Il a très bien réussi avec moi car j’ai rarement eu recours à l’hypnose lors de mes suivis thérapeutiques, par contre l’approche stratégique s’est tellement bien intégrée à mon style de thérapie qu’elle est devenue presqu’une deuxième nature pour moi. J’ai aussi pu bénéficier de l’apprentissage de l’intervention de crise auprès de schizophrènes en épisode de décompensation. En psychologie communautaire j'ai fait, avec une équipe, l’analyse socio démographique d’une ville (Pasadena).
Ma thèse de doctorat
J’ai obtenu mon Ph.d. dans le contexte très particulier d’un nouveau modèle d’école professionnelle qui devait faire ses preuves face aux programmes académiques des universités. L’American Psychological Association, qui a comme mandat d’accepter ou refuser les programmes de doctorat, a fait sa visite d’inspection au California School of Professional Psychology. Ils ont examiné toutes les thèses de doctorat soumises par les étudiants, la conséquence en a été que les deux tiers des élèves de ma classe ont échoué leur doctorat ; j’ai survécu et mon Ph.d. a été accepté.
Ma thèse de doctorat, intitulée « Poverty and intellectual underachievement » s’est faite dans le contexte de la guerre à la pauvreté. Le grand mythe américain selon lequel n’importe qui, même celui qui livre les journaux, peut devenir président des Etats Unis, avait été profondément remis en question par la sous performance intellectuelle et académique des enfants de couleur noire. On a donc développé les programmes Head Start, qui consistaient en une scolarisation précoce et intensive afin que les enfants noirs de milieu défavorisé rattrapent leur retard et commencent l’école régulière au même niveau que les enfants blancs. Il fallait à tout prix préserver l’égalité des chances pour tous Equality of opportunities, une valeur fondamentale de la société américaine.
Or ces programmes Head Start ont été un échec monumental; les gains obtenus disparaissaient un ou deux ans après. J’ai voulu comprendre pourquoi, j’étais d’autant plus intrigué que ces résultats négatifs étaient les mêmes pour tous les programmes, quelle que soit leur approche. Par exemple, des approches très directives, basées sur la mémorisation, donnaient les mêmes résultats que des approches opposées, peu structurées, qui laissaient les enfants construire leur propre apprentissage. Ma thèse, du type « Program design », avait comme objectif d’analyser ces programmes afin de comprendre la raison de ces échecs, puis de faire une analyse plus poussée des très rares programmes qui avaient réussi, afin de proposer mon propre programme. En bref, les rares programmes efficaces avaient été ceux qui avaient donné le pouvoir aux parents noirs de milieu défavorisé (empowerment). Dans le cadre de ma thèse j’ai eu l’opportunité d’interviewer des noirs dans le quartier chaud South central, qui a été mis à feu à deux reprises. Le premier article (Guay 1975) que j’ai publié portait sur le sujet controversé de la sous performance intellectuelle des enfants noirs ; j’ai démontré dans ma thèse que les tests d’intelligence étaient biaisés en défaveur des enfants noirs.
Curtiss, S. (1977) "Genie : a psycholinguistic study of a modern day wild child" Academic press.
A Guay, J. (1975) « Le mythe de l'incompétence intellectuelle de l'enfant de milieu défavorisé », Recherche sociale, no 56, octobre-décembre 1975.
NOVA (1994) "Secret of a wild child". A NOVA production by WGBH/Boston