SERVICES PUBLICS DE PROXIMITÉ 

Jérôme Guay

 

Les services publics de proximité ne sont pas très développés au Québec, pourtant les besoins sont très importants dans ce domaine. Ces services sont surtout pertinents lorsqu’il s’agit  de maintenir les personnes dans leur milieu de vie ; ils ciblent  particulièrement les personnes qui se situent aux deux extrémités du cycle de vie, surtout les personnes âgées mais aussi les familles avec de très jeunes enfants. Cependant les personnes marginalisées comme les malades mentaux ou les personnes avec un handicap physique ou mental, peuvent aussi profiter de ce type de services. Les interventions se font à domicile ou consistent en un accompagnement dans le milieu de vie des clients. 

L’approche particulière de services de proximité, à laquelle je me suis intéressé  a porté des noms divers au cours de son évolution au Québec. En Angleterre, l'approche s'appelait centrée sur la communauté par opposition à centrée sur le client, puis elle est devenue l'approche proactive par opposition à l'approche réactive (cf texte I). Ce sont les intervenants du CLSC des Pays d'en haut, qui ont introduit le terme approche milieu (cf texte II). Maintenant l'approche milieu et l'approche proactive sont des appellations qui sont souvent utilisées de façon parallèle et considérées quasi comme des synonymes.

La façon la plus radicale de rapprocher les services de la population serait de partager les conditions de vie des usagers, en s'enracinant dans les communautés, comme ça été le cas pour les premiers travailleurs sociaux aux Etats - Unis (Collins et Pancoast, 1976) ou, pour les infirmières qui travaillaient en région éloignée au Québec. Mais l’approche la plus réaliste consiste à développer cette approche à partir de services de première ligne qui sont déjà près des communautés locales.

Trois textes inédits présentent des expérimentations auxquelles j’ai été associé ; ils sont en ordre chronologique.

Le premier texte décrit d’abord l’expérience d’une petite clinique de santé mentale de quartier qui s’appelait Coupe circuit.  Elle avait été fondée par un collègue dans les années ’70, et les membres conseil d’administration de même que les intervenants étaient des résidents de la basse ville de Québec, sauf moi. Dix ans plus tard un projet – démonstration, financé par Santé Bien Etre Canada et soutenu par le CLSC Haute Ville,  s’est implanté dans le quartier St Jean Batiste de Québec. Ce projet avait été inspiré à la fois par l’expérience de Coupe Circuit et par les « patchwork schemes »britanniques, qui étaient des agences de service social de quartier. Ce projet, haut en couleurs, avait comme objectif principal était d'aider et d'habiliter les citoyens d'une communauté à participer au processus de réinsertion sociale de personnes souffrant de problèmes sérieux en santé mentale.

Inspirés par le projet démonstration du quartier Saint Jean Baptiste, deux CLSC ont choisi de remplacer leurs équipes – programmes  par des équipes – territoire. Le deuxième texte fait la présentation des expérimentations dans ces deux CLSC : le CLSC des Appalaches et le CLSC des Pays d’en Haut. Il s’agissait d’une véritable révolution, pas toujours bien vue par le Ministère, mais très riche en enseignements. Nous avons aussi tenu deux colloques interactifs regroupant des intervenants et gestionnaires qui avaient expérimenté l’approche.

Le troisième texte présente un bilan approfondi de ces expérimentations en vérifiant si les objectifs ont été atteints, après avoir proposé une définition des caractéristiques de ce qui s’appelait l’approche milieu et identifié les meilleures stratégies pour surmonter les grands défis que rencontrent les intervenants et gestionnaires qui voudraient implanter l’approche. 

 


 

SERVICES PUBLICS DE PROXIMITÉ : INTRODUCTION

Jérôme Guay

I - LE PROJET PARRAINAGE SOCIAL ET ENTRAIDE DE QUARTIER

JÉRÔME GUAY

La clinique "Coupe - Circuit"

Le projet OLO de Valleyfield

L’influence des britanniques : les Patchwork schemes

Les organisateurs communautaires en CLSC

Objectifs visés par l’approche milieu

LE PROJET PARRAINAGE SOCIAL ET ENTRAIDE DE QUARTIER

Visibilité et accessibilité

Le quartier St Jean Baptiste

Objectif général

Objectifs spécifiques

- Stratégies (Objectifs opérationnels)

1- Tournées quotidiennes.

2- Interventions ponctuelles d'urgence.

3-  Négocier l'organisation de rapports sociaux satisfaisants entre les citoyens et les psychiatrisés.

4- Connaître et soutenir les réseaux naturels d'aide

5 - Procurer du soutien aux citoyens qui s'impliquent auprès des psychiatrisés.

6 - Stimuler des projets.

7 - Sensibiliser la population et diminuer les préjugés.

8 - Concertation, collaboration et référence

Collaboration avec les aidants naturels

Ouverture d'un lieu de rencontre

Résultats

Les tournées auprès des personnes pivot du quartier

Le soutien aux personnes faisant partie de l’entourage social des personnes atteintes de

Résultats

Analyse d’impact du Café

1 - Impact dans le quartier

Le modèle de case management du projet urbain

II-  ÉQUIPES - TERRITOIRE : L’APPROCHE MILIEU EN CLSC

La décentralisation en équipes territoire

Les changements organisationnels au CLSC des Appalaches.

Avantages

Critères peuvent servir à évaluer le degré de décentralisation :

Une condition : la délégation d’autonomie

Des services informels et polyvalents pour de nouvelles clientèles à risque

Résultats

Lieux d’intervention

Cibles

Interventions

Origine de la demande d’aide

Interventions informelles

Le modèle d'intervention intégré du projet rural

Illustration

Interventions de réseaux auprès des personnes agées

La coordination des types de soutiens

Rencontres de coordination

Evaluation des facteurs positifs

CLSC DES PAYS D’EN HAUT

Les cafés

Formalisation de l’aide naturelle : le projet d'agents de réseau

Portrait d'aidants naturels

Les comités de concertation et d’action locale

Faire du bureau à la soupe populaire

Les colloques interactifs

Le premier colloque

Le projet St Léonard

CLSC des Etchemins

Le deuxième colloque

Le Projet Jeunesse Enfance Famille (JEF), (CJQuébec)

Le projet du Goéland

L'équipe du quartier de l'est du CLSC Montréal nord

Que reste t’il de l’approche milieu ?

LE MODÈLE DE PRATIQUE TEL QUE DÉVELOPPÉ EN CLSC

Caractéristiques du mode de pratique

Informalisme

Flexibilité et adaptabilité

Polyvalence

Éclatement de la notion de client identifié

Services directs remplacés par des interventions de soutien

L'entraide entre clients

Accroissement de la compétence professionnelle

Collaboration avec les aidants naturels

Une plus grande familiarité avec les citoyens et les usagers

Redéfinition du rôle professionnel

Le danger de l'utilitarisme

Choc de valeurs

La frontière de la confidentialité

Choix déchirant pour les gestionnaires

Le partage de la responsabilité

Les modes d’évaluation de l’approche milieu

A t’on développé l’approche pro active ?

Réponse plus rapide à un plus grand nombre de demandes

Rejoindre les clientèles à risque

A t’on atteint l’objectif que le milieu influence la pratique ?

A t’on favorisé l’intégration sociale des personnes marginalisées ?

A t’on amélioré le maintien des personnes âgées dans leur milieu de vie ?

Conclusion

Références

 


 

 

 

I - LE PROJET PARRAINAGE SOCIAL ET ENTRAIDE DE QUARTIER  

 

JÉRÔME GUAY

  

La clinique "Coupe - Circuit"

Transportés par les valeurs des années '70, comme c'était le cas à la Gerbe à Bruxelles , nous avons voulu recréer cette solidarité à la clinique Coupe Circuit, en exigeant des intervenants qu'ils demeurent à la Basse - Ville de Québec et vivent les mêmes conditions économiques que les usagers (Langlois, 1981).

Fondée en 1979, il s'agit d'une petite clinique populaire de quartier, située à la Basse  Ville de Québec. Cette clinique voulait couper le circuit qui amenait les psychiatrisés à se faire réhospitaliser en psychiatrie; à l'époque plus de 75 % des admissions au CH Robert Giffard étaient des réadmissions. 

L’objectif était de combler le fossé avec la communauté par une démarche d'enracinement et d'appartenance au quartier. Pour faire partie du noyau d'intervenants appelé le collectif, il fallait demeurer à la Basse  Ville de Québec et vivre les mêmes conditions économiques que les usagers de Coupe - Circuit qui étaient, pour la plupart, bénéficiaires de l'aide sociale. (Langlois, 1984). Les intervenants devaient  également s'impliquer comme membre du Conseil d'administration d'une des associations du quartier.

L'équipe d'intervenants était composée d'aidants naturels, résidents du quartier, et leurs interventions se démarquaient du modèle d'entrevue individuelle, en incluant d'autres personnes dès la première rencontre.  Lors de la première rencontre, la personne en demande d'aide devait être accompagnée soit d'une ou deux  personnes de son réseau social, soit de  bénévoles de Coupe Circuit ou des associations du quartier. Les premières publications sur le "Training in community living" (Stein et Test) ont également influencé la façon de faire le suivi communautaire des personnes psychiatrisées.

Les résultats démontrent que ces personnes, provenant soit du réseau social personnel, soit du réseau d'entraide du quartier, ont participé à la résolution du problème ou ont contribué à procurer du soutien. La très grande majorité de ces interventions, associant quelqu'un de l'environnement social, ont cherché à améliorer les conditions de vie difficiles des usagers de milieu défavorisé, surtout en ce qui touche au logement (Langlois, 1981). Plusieurs expériences poursuivant le même objectif, ont été tentées, dans le domaine de la périnatalité afin de rapprocher les services du CLSC des familles monoparentales de milieu défavorisé, à risque d'abus et/ou de négligence. Une des plus remarquables d'entre elles est le projet OLO du CLSC de Valleyfield (Leduc et Beauregard (1989).

Le projet OLO de Valleyfield

L'équipe d'intervenantes (qui comprenait aussi des intervenants sociaux) se sont servies du programme Œufs Lait Orange comme porte d'entrée pour rejoindre ces femmes enceintes qui n'étaient pas rejointes par le programme de périnatalité. L'expérience avait démontré que même si l'infirmière amenait, par la main, une de ces futures mères aux cours prénataux; celle ci sortait à la pause, disant qu'elle n'était pas intéressée par les petits respire. Elles étaient d'ailleurs peu intéressées par leur accouchement futur, sauf deux semaines avant; leurs énergies étant surtout accaparées par les problèmes de survie quotidienne. 

Les intervenantes ont dû faire fi de leur programme car, comme ç'avait été le cas au CLSC Basse ville, ces femmes étaient surtout intéressées par des activités de loisirs, comme aller au musée de cire ou jouer au bingo. On peut facilement deviner le désarroi du directeur général qui s'interrogeait sur la pertinence et l'utilité que trois ou quatre intervenantes fassent du loisir avec trois ou quatre femmes. Quoiqu'il en soit, cette expérience a eu un grand succès et a servi d'inspiration pour beaucoup d'autres initiatives analogues. Il faut préciser que la hausse du poids du nourrisson ne faisait pas partie des critères de succès, comme c'était habituellement le cas, mais plutôt la hausse du pouvoir d'action sur leur vie (empowerment) (Leduc et Beauregard, 1989). 

L’influence des britanniques : les Patchwork schemes

Les expériences de décentralisation en Grande Bretagne allaient avoir une influence considérable sur notre conception des projets démonstration qui seront implantés dans la deuxième phase. L'auteur principal de ce fascicule avait mis par hasard la main sur un petit manuel, provenant de Grande  Bretagne décrivant un type d'établissement public, qui mettait en place la forme de pratique que nous tentions de diffuser (Hadley et Mc Grath, 1980) . Il s'agit des  "patchwork schemes"  qui sont des petites agences de service social de quartier ou de village qui répondent aux besoins de proximité des résidents de la communauté, surtout les personnes âgées mais aussi les jeunes familles. L'équipe de praticiens est affectée à un village ou un quartier (entre 2,000  10,000 de population) plutôt qu'à un programme ou une tranche de la population et travaille aussi avec l'aide naturelle qu'ils appellent les systèmes informels d'aide de voisinage. 

Les membres de l' équipe des patchwork schemes habitent tous le quartier ou le village desservi par le patch, à l'exception du chef d'équipe. Pour répondre aux besoins d'une population de 2,000 à 10,000, les équipes sont habituellement composées de:

Un Patchleader qui est un travailleur social qui, en plus de diriger l'équipe, fait le travail habituel d'un travailleur social, soit gérer les références et suivre son caseload d'usagers

Deux à six Patchworkers qui sont des assistant sociaux ou des travailleurs communautaires. Leur tâche consiste à procurer des services à domicile, autant d'ordre concret que d'ordre du soutien psychologique. 

Quinze à trente aides à domicile, dont les tâches sont analogues à celles qui se font au Québec

Trois à six wardens dont la tâche essentiellement à vérifier l'état de santé des résidents et à faire la référence appropriée le cas échéant.

Impressions sur des patchwork schemes

Le livre de Roger Hadley (Hadley et McGrath, 1984), décrivant , de façon très détaillée, le fonctionnement du patch de Normanton, nous a beaucoup servi comme outil de travail. Nous en avons retenu, en particulier, la notion de référence informelle c'est  à  dire un service du tac au tac, rendu directement dans la communauté, qui ne nécessite pas l'ouverture d'un dossier, et qui cible une personne qui n'est pas un usager.

 

Il y a aussi l'expérience de East Sussex, théâtre d'une expérience de changements organisationnels massifs. En effet, un Centre de services sociaux avait été subdivisé en quarante - cinq patches. Les programmes de service résidentiel, de centre de jour, d'aide à domicile et de travail sur le terrain, avaient été abolis pour être intégrés dans les équipes de patch. 

En fait, c'est surtout au niveau de l'organisation des services que se situe la contribution majeure du professeur Hadley et de ses collègues pour nous; l'expérience du East Sussex leur a permis de tirer un guide de gestion qui nous a beaucoup servis (Hadley et Young 1990). L'immense avantage de cette manière d'organiser les services est que les intervenants sont dans des conditions pour être mieux informés sur les conditions de vie de leurs clients et sur leurs réseaux de support social.  Il leur est plus facile d'identifier plus rapidement les personnes qui ont besoin d'aide et intervenir avant que les problèmes ne s'aggravent (Hadley et al. 1987). Par contre, après avoir discuté avec des membres des équipes de plusieurs patches, l'auteur a été plutôt déçu de leurs modes de pratique qui m'apparaissaient assez traditionnels,  malgré le nouveau cadre de pratique. Nous avons convenu, avec Roger Hadley et ses collègues britanniques que s'ils étaient en avance sur nous au point de vue de la gestion des services; le Québec était en avance au niveau de la pratique sur le terrain. 

L'expérience des patches était surtout centrée sur l'aide de proximité que peuvent fournir les systèmes informels d'aide de voisinage, aux personnes qui se situent aux deux extrémités du cycle de vie; c'est  à dire les jeunes familles et surtout les personnes âgées. Il n'était pas possible d'implanter au Québec, une structure de services analogue pour les personnes âgées car les contextes étaient trop différents. Ainsi, en Grande Bretagne, il y  avaient de quatre à cinq fois plus de personnel pour les soins à domicile qu'au Québec. Il leur était donc possible d'établir une véritable complémentarité entre les services professionnels et l'aide informelle, sans qu'il y ait danger de surcharge. Par exemple, dans un des quatre patches de la ville de Cambridge, que nous avons visité, un grand nombre de personnes âgées, dont l'état aurait nécessité un hébergement au Québec, recevaient des services à domicile sur une base quotidienne.

 

Ce qui nous a frappés c'est la remarquable similitude dans la vision et les façons de faire entre ces expériences parallèles. En effet, toutes ces expériences avaient débuté de la même façon ; les intervenants s'étaient rendus visibles et accessibles auprès de la population locale, sans proposer d'activités spécifiques. Ils s'étaient mis à l'écoute des besoins et des problèmes et y avaient répondu d'une manière informelle, flexible et polyvalente en construisant sur mesure leurs réponses. Cela nous confortait dans l'idée qu'il s'agissait là d'une approche "naturelle" puisqu'elle s'était développée dans des milieux très différents, sans définition des notions clés et sans guide sur la façon d'intervenir.

L’approche « community centered » avait comme objectif que ce soient les caractéristiques de la communauté locale qui exercent une influence importante sur la façon dont les services étaient rendus. Le patch de Normanton a été le projet – phare, étudié en profondeur, qui nous a beaucoup servi comme outil de travail pour le projet pilote (cf la chronique Le Projet). 

Le principal obstacle à l'implantation de l'approche milieu chez nous était le fait que nos programmes structuraient nos services, comme nous a dit le professeur Hadley, en visite au Québec. Il fallait donc remplacer une gestion des services par programmes, par une gestion par territoire. La gestion par programmes, que l’on retrouve dans tous les services publics, fait en sorte que si une personne fait une demande de consultation, sa demande va être dirigée vers le programme de services qui correspond à sa problématique ou à son groupe d’âge. Par exemple, les jeunes femmes enceintes vont être dirigées vers le programme de périnatalité et les personnes âgées vers le programme de maintien à domicile. Une gestion par territoire fait en sorte que les services sont procurés aux personnes sur la base de leur lieu de résidence, plutôt que leur âge ou type de problèmes. Cette perspective nous a beaucoup inspirés au Québec dans nos expérimentations en approche milieu ( Cf "Approche milieu")

Les organisateurs communautaires en CLSC

Ce sont les organisateurs communautaires à qui les CLSC avaient confié le mandat de réaliser la mission communautaire et d’opérer le rapprochement avec la communauté. La profession d’organisateur communautaire, qui existe au Québec sous des formes variées depuis les années soixante, (Lamoureux, Mayer et Panet Raymond, 1984, Doucet et Favreau, 1991) a eu un impact considérable qui s’est traduit par la mise sur pied de nombreux organismes communautaires. Cependant l’objectif de rapprochement n’a pas été atteint car, plus leur action était efficace, moins les CLSC devenaient communautaires puisque les interventions de ces spécialistes du communautaire permettaient au reste du personnel de continuer à se confiner dans une pratique individuelle. En fait l’implication des organisateurs communautaires leur a souvent créé des conflits de loyauté car ils se sentaient souvent plus solidaires des organismes communautaires que de leur CLSC. 

La Fédération des CLSC, consciente que l’image communautaire des CLSC correspondait peu à la réalité des pratiques, a organisé une formation à l’approche communautaire pour l’ensemble de son personnel (MSSS, 1991); en fait, l'approche communautaire correspond à ce que nous appelons l'intervention réseau. Dorénavant le communautaire ne serait plus l’apanage exclusif des organisateurs communautaires mais ferait partie intégrante de la pratique clinique des tous les intervenants puisque la formation visait à transformer les services individuels, qui ne s’adressent qu’au client, en services qui font appel aux ressources du réseau social. Le point de départ de l’approche communautaire n’est pas la communauté, comme c’est le cas pour l’organisation communautaire, mais le client individuel à partir duquel on élargit la perspective en s’ouvrant sur son environnement social. 

L'approche milieu, ou proactive, se situe à cheval entre ces deux courants; d'une part elle cible la communauté mais selon une perspective de services individuels. En effet, comme son nom l'indique, cette forme de pratique cible le milieu, Hadley et al. (1987) parlent de "community centered practice" par opposition à la pratique traditionnelle qu'ils appellent "client centered practice". C'est donc dire qu'au lieu de cibler des usagers individuels, la pratique professionnelle cible la communauté locale. A la différence de l'organisation communautaire, l'approche milieu n'a pas un objectif de développement communautaire, mais vise plutôt une prise de contact précoce avec les réseaux sociaux afin de pouvoir intervenir auprès d’eux avant qu’une demande formelle d'aide soit faite pour un proche. L'approche milieu est, par ailleurs, beaucoup plus exigeante que l'organisation communautaire ou l'approche communautaire en termes des changements qu'elle exige de la part de l'établissement, non seulement au niveau organisationnel, mais aussi au niveau de la pratique. En effet, non seulement tout la structure d'organisation des services doit être repensée de fond en comble, mais la pratique des intervenants doit se transformer de façon radicale.

Objectifs visés par l’approche milieu

Il y a surtout quatre objectifs visés par l’approche milieu, lesquels sont liés aux fonctions des services de proximité.

- Maintenir des personnes dans leur milieu de vie

L’aide de proximité, procurée par les systèmes informels d'aide de voisinage peuvent contribuer à maintenir des personnes dans leur milieu de vie : on parle ici surtout de personnes qui se situent aux deux extrémités du cycle de vie, c'est – à - dire les personnes âgées et les familles avec de très jeunes enfants. Les réseaux d'entraide de voisinage peuvent en effet apporter une contribution très précieuse, sinon indispensable, car ils rendent disponibles, à proximité, des types de soutien concrets et matériels tels le transport, le magasinage, la surveillance etc.. Les patchwork schemes britanniques, décrits plus haut, s'inspirant de la tradition de bon voisinage qui leur est propre, constituent sans doute le plus beau modèle de ce type de collaboration entre l'intervention  professionnelle et les systèmes informels d'entraide.

- L'intégration ou la réintégration communautaire

  Plusieurs projets, présentés dans ce texte, fournissent des exemples de ce type de pratique.

- Développer des interventions proactives

Un autre objectif, qui est souvent visé par les services publics, est celui d'être plus proactif dans ses interventions, c'est – à - dire de rejoindre les personnes lors des premières difficultés avant que leur situation ne soit complètement détériorée et qu'elles en viennent à faire une demande formelle de services en dernière extrémité. Ces interventions plus précoces permettent de rejoindre les personnes en difficulté et celles à risque, c'est – à - dire les personnes qui auraient besoin de services mais n'en demandent pas.

- Les conditions de vie des usagers influencent la pratique

L’objectif fondamental de l’approche milieu est : que le milieu de vie des usagers, plutôt que les programmes de services, constitue l'influence prédominante sur la pratique professionnelle et sur la façon dont les services sont rendus. Cela signifie qu'au lieu d'être déterminés par nos structures de services, nos modes d'intervention doivent être influencés et orientés, non seulement par les besoins des usagers, mais aussi par leurs conditions de vie et leur environnement social.  

La phase de développement des projets démonstration a été très productive car elle a permis de nommer l'approche milieu, définir ses notions clés et décrire les modes de pratique. Elle a été caractérisée par trois projets démonstrations subventionnés, ce qui a permis d'en faire une analyse descriptive, une évaluation de processus, et une mesure partielle d'impact. Il s'agit du projet "Parrainage social et entraide de quartier", implanté avec le soutien du CLSC Haute ville, du projet du CLSC des Appalaches et du projet du CLSC des Pays d'en haut. De plus, ayant entendu parler que d'autres CLSC et établissements avaient expérimenté l'approche, nous avons tenu deux colloques interactifs, un en 1992 et l'autre en 1995 afin de favoriser la discussion et l'échange . Les définitions qui sont offertes dans ce fascicule proviennent de ces projets et de ces échanges; elles ont donc été construites et validées par les gestionnaires et intervenants terrain qui ont expérimenté l'approche milieu.

 

 

LE PROJET PARRAINAGE SOCIAL ET ENTRAIDE DE QUARTIER

L’expérience du projet Entraide de quartier, réalisée sur le territoire du CLSC Haute - Ville a été amorcée à partir d’un prêt de service du CLSC et d’une subvention de Santé et Bien Être Social Canada (Guay et Chabot, 1990). Ce projet  démonstration d’une durée de deux années et demie, (1989  1992), avait comme objectif d'expérimenter un mode de pratique qui soutienne et habilite les citoyens d'une communauté à participer au processus de réinsertion sociale de personnes souffrant de problèmes sérieux en santé mentale. Le produit principal du projet était donc un guide d'intervention détaillant le nouveau mode de pratique. Nous avons voulu appliquer, avec la santé mentale, le modèle patchwork scheme qui n'avait été expérimenté qu'avec les personnes âgées. 

Deux éléments clefs du modèle de pratique ont été développés dans ce projet et ont été retenus dans les expérimentations subséquentes :

-              un concept : celui d’approche pro active  

-              et une stratégie : la visibilité et l’accessibilité

Le modèle théorique que nous avons bâti pour orienter notre projet s'articulait autour de la notion d'approche proactive, proposé comme alternative à l'approche réactive.

La pratique clinique traditionnelle en santé mentale est essentiellement réactive. Elle consiste en des interventions professionnelles qui sont autant de réactions à des demandes de services qui arrivent trop tard  lorsque la situation est très détériorée. C'est donc à la toute fin du cheminement critique de la personne en difficulté que le praticien entre en ligne de compte. Il est ainsi placé en bout de ligne, au moment de son intervention, et n'a d'autre choix que de répondre à la demande telle que formulée. Or cette demande se fait  presque toujours en situation de crise alors que les parents ou les amis se déchargent de leur responsabilité en confiant la prise en charge au professionnel. Le praticien  ne peut donc pas faire appel à l'entraide puisque les proches sont également en crise et que les autres personnes qui font partie du réseau social sont ou bien absentes ou bien complètement dépassées. Le praticien ne peut pas non plus compter sur les forces de la personne puisque la situation de crise exacerbe et met en évidence ses pathologies et  déficits . 

Une alternative à cette situation est l'approche pro active c'est – à - dire une intervention qui n'a pas nécessairement été sollicitée et qui survient avant que la situation soit devenue complètement détériorée et surtout avant que les proches n'aient complètement épuisé leurs capacités d'aide.  Cette intervention pro  active précoce risque évidemment d'être plus efficace puisqu'il est  plus facile d'apporter une solution appropriée à une situation qui n'en est qu'à ses premières difficultés, alors  que l'on peut encore compter sur les capacités des personnes en besoin et sur l'aide de leurs proches (Guay, 1991).

L'approche proactive comporte plusieurs avantages, elle permet d'intervenir au moment même ou les personnes sont les plus mobilisées ou mobilisables, les problèmes ne sont pas encore trop aigus, les personnes de l'entourage sont encore capables de donner un coup de main.

Deux mots résument la pratique professionnelle dans l'approche milieu soient : la visibilité et l’accessibilité des intervenants.

Visibilité et accessibilité

Pour se rendre visibles et accessibles, les praticiens doivent sortir de leur bureau, d'abord pour mieux connaître le milieu et ensuite intervenir directement dans l’environnement quotidien et le milieu de vie des citoyens et des clientèles à desservir. Les intervenants appellent cela; marcher le quartier, faire des tournées quotidiennes, faire la run de lait.

Dans le projet – démonstration, deux intervenants ont été engagés pour mettre en application l’approche proactive et un professionnel de recherche pour en documenter l’expérimentation. Ceux  ci se sont rendus visibles et accessibles en effectuant des tournées quotidiennes dans le quartier St Jean Baptiste cherchant à établir d'abord des liens avec les  citoyens qui, par le type de travail qu'ils exercent, sont régulièrement en contact avec de nombreux citoyens (Guay et Chabot, 1990, Guay 1994 a et b). Nous avons appelé ces citoyens les personnes  pivots, c'est  - à –p dire des serveurs, des propriétaires de petites épiceries, des concierges, des préposés de lavomats etc. Les agents de quartier se sont identifiés comme travaillant en santé mentale et ont parlé des objectifs du projet. Ils ont également fréquenté les lieux où se tenaient les personnes pouvant souffrir de problèmes sérieux en santé mentale, comme les mails, les refuges, les soupes populaires etc.. 

Le quartier St Jean Baptiste

Les interventions prévues dans le cadre du projet se sont déroulées dans le quartier St – Jean - Baptiste. En 1986, la population totale de ce quartier était de 13,105 et on aurait procédé, en 1985 - 1986, à plus de 235 hospitalisations psychiatriques de courte durée, dont 176 pour psychose. Partie intégrante du centre ville, le quartier Saint – Jean   -Baptiste a connu des transformations importantes entre les années '60 et '70. Des rues entières ont fait place à l'autoroute et aux hôtels de luxe voisins de la colline parlementaire. Le processus de revitalisation de la fonction résidentielle du quartier s'est effectuée dans une dynamique qui a favorisé le développement de solidarités naturelles relativement fortes dans ce secteur. Des coopératives d'habitation se sont multipliées et une lutte s'est organisée pour sauver la rue Saint - Gabriel de la démolition. Le mouvement de retour en ville a amené plusieurs nouveaux habitants (de nouveaux propriétaires souvent copropriétaires et des membres de coopératives) et les rénovations au moyen de subventions et de corvées ont grandement contribué à la transformation du quartier. Il s'agit d'un quartier "tricoté serré" où à peu près tout le monde affirme ne pouvoir faire deux pas dans la rue sans rencontrer des gens familiers. Le voisinage est important dans Saint – Jean - Baptiste; la vie de quartier est au coeur de la vie sociale. Le mouvement de retour en ville a amené la superposition de deux types de réseaux: celui formé par les anciens résidents et celui formé par les nouveaux résidents. Le clivage entre les deux types de réseaux semble profond: ils vivent en parallèle et ne se rejoignent qu'au niveau des commerces, des garderies et des écoles. Le réseau des nouveaux arrivants est un peu plus jeune que l'autre. Il est composé de gens séparés, de seconde union ou coupés géographiquement d'une grosse partie de leur famille. Ils se sont implantés dans le quartier depuis 10 ou 15 ans et en général, n'ont pas de racines dans le secteur. Pour eux, la vie de quartier se tisse autour du voisinage immédiat, de groupes ou d'associations. Comme le démontrent les résultats d'un sondage que nous avons effectué, les résidents de ce quartier sont particulièrement acceptants face à la maladie mentale. Seulement 14,5% des résidents se sont dits défavorables à l'arrivée, sur leur rue, d'une ressource pour personnes souffrant de troubles mentaux comparativement à 31,4% dans le Québec Métro. Cinquante - quatre pour cent (54%) se disent favorables à supporter l'implantation d'une telle ressource par rapport à 40% pour l'ensemble du Québec métropolitain (Guay et Chabot, 1990).

Objectif général

Expérimenter et mettre au point une méthode d'intervention dont l'objectif est d'aider et d'habiliter les citoyens d'une communauté à participer au processus de réinsertion sociale de personnes souffrant de problèmes sérieux en santé mentale.

Objectifs spécifiques

I - Expérimenter et développer les diverses stratégies qui constituent les  composantes de cette méthode. 

II - Augmenter le niveau d'acceptation des citoyens du quartier-cible face aux psychiatrisés.

III - Augmenter le niveau de participation des citoyens du quartier-cible au processus de réinsertion sociale des psychiatrisés.

IV-Diminuer l'intensité de la prise en charge professionnelle.

V - Diffuser la méthode d'intervention à d'autres praticiens.

 

- Stratégies (Objectifs opérationnels)

Le caractère exploratoire de ce projet rendait difficile de prédéfinir les stratégies spécifiques au travers desquelles le modèle d'intervention va s'expérimenter. Au démarrage du projet, huit (8) types de stratégies ont été identifiées, tout en étant conscients du fait qu'elles devaient conserver une certaine flexibilité et adaptabilité et que certaines pouvaient être modifiées ou ajoutées en cours de route. Voici les stratégies d'interventions prévues au démarrage du projet. 

1- Tournées quotidiennes.

La visibilité et l'accessibilité des agents de quartier constituent le fondement d'où vont découler les autres interventions. Ce sont les tournées quotidiennes qui vont rendre les agents de quartier visibles et identifiés comme des personnes facilement accessibles et à qui on peut faire appel en cas de nécessité. La journée normale d'un agent de quartier va donc consister à faire la tournée de tous les endroits où sont susceptibles de se tenir les psychiatrisés: immeubles (concierges), restaurants, Dunkin Donuts, Agence de Bien-Être, Soupe populaire,  etc.

2- Interventions ponctuelles d'urgence.

Les interventions sont fondées sur le principe que la collaboration avec les citoyens ne peut s'actualiser que si les intervenants offrent d'abord des services qui répondent à leurs besoins. Les interventions visent d'abord à offrir un soutien et à soulager lorsque les comportements des psychiatrisés sont vécus comme dérangeants, épeurant ou lourds à soutenir.

À mesure que les agents de quartier vont être connus et que l'on saura qu'ils sont facilement accessibles, ils vont pouvoir effectuer des interventions ponctuelles sur demande soit lorsque des psychiatrisés auront des comportements inappropriés qui dérangent ou qui font peur. Deux (2) formes d'interventions seront alors possibles: agir comme conciliateur entre le citoyen et le psychiatrisé ou  référer au Programme de Réinsertion sociale du C.L.S.C.

3-  Négocier l'organisation de rapports sociaux satisfaisants entre les citoyens et les psychiatrisés.

Les intervenants prendront le rôle de conciliateur entre les citoyens et les psychiatrisés lorsqu'une demande aura été faite en ce sens.  D'une part, ils tenteront de  conscientiser les psychiatrisés quant à l'impression négative qu'ont pu créer certains de leurs comportements marginaux et dérangeants. D'autre part, ils veilleront à présenter une image plus positive des psychiatrisés en vue de diminuer les attitudes rejetantes. Ces interventions seront basées sur le principe de la responsabilisation des psychiatrisés et viseront à maximiser leur implication personnelle dans le processus de leur propre réinsertion.

4- Connaître et soutenir les réseaux naturels d'aide

On peut identifier deux (2) catégories de personnes dans ce qu'on appelle les réseaux naturels d'aide:  les personnes-pivot et les aidants naturels.

Les personnes-pivot sont des commerçants, concierges, propriétaires d'immeubles avec qui nous avons des contacts réguliers. C'est le contact régulier avec ces personnes qui permet de développer une approche pro-active de l'intervention. Ces personnes connaissent bien leurs clients ou locataires et ils peuvent nous prévenir lorsque ces derniers semblent vivre certains problèmes situationnels nous permettant ainsi d'intervenir avant que la situation ne soit détériorée.

Les aidants naturels sont des personnes qui, par leur vécu, aident naturellement d'autres personnes dans la communauté. Souvent, au moment d'intervenir ou au cours de démarches d'accompagnement, leurs propres expériences peuvent être mises à contribution pour soutenir des personnes qui vivent des problèmes similaires.  Ces personnes auront démontré un niveau d'acceptation élevé face aux psychiatrisés et des capacités évidentes d'aide naturelle.

5 - Procurer du soutien aux citoyens qui s'impliquent auprès des psychiatrisés.

Les agents de quartier apporteront leur soutien lorsque des citoyens exprimeront leur désir de participer au processus de réinsertion des psychiatrisés. Ces interventions viseront à soutenir les proches, les voisins et amis dans le processus de réinsertion.

6 - Stimuler des projets.

Il était difficile au départ de préciser la nature de ces projets puisqu'ils seront issus du désir des citoyens et des psychiatrisés qui s'y seront impliqués. 

7 - Sensibiliser la population et diminuer les préjugés.

Celles qui, parmi ces personnes rejointes, se montrent intéressées à tenter de modifier les attitudes stigmatisantes et rejetantes de certains membres de leur entourage pourront profiter du soutien actif des intervenants. 

8 - Concertation, collaboration et référence

Les agents de quartier référeront au programme de Réinsertion Sociale du C.L.S.C. les psychiatrisés qui auront besoin d'un suivi plus intense à cause de la gravité de leurs problèmes de santé mentale qui les empêcheraient de s'impliquer dans les activités d'apprentissage social. Le projet sera en lien direct avec ce programme du C.L.S.C. afin d'assurer une continuité entre les deux (2) types d'intervention.  

Étant donné que cette approche pro-active est incompatible avec une pratique prédéterminée par des catégories de clientèles, on peut anticiper que les citoyens vont faire des appels à l'aide pour des personnes non - psychiatrisées mais dont le comportement est néanmoins dérangeant.  Les intervenants feront alors appel au service d'accueil et de référence du C.L.S.C. qui acheminera les demandes soit au personnel du C.L.S.C. soit à d'autres organismes publics ou communautaires afin de trouver les ressources nécessaires.et appropriées. 

Interventions de crise

Comme conséquence de leur plus grande visibilité, les premières demandes d'aide qui  ont été adressées consistaient en des interventions de criseou d'urgence auprès d'individus se comportant de façon menaçante et provoquaient l'inquiétude des citoyens avec lesquels nous avions établi contact. Les systèmes informels d'entraide qui existent dans un quartier sont généralement auto  suffisants et les citoyens n'ont besoin d'aide que lorsque les situations dépassent leur seuil de tolérance. Ces interventions de crise avaient pour cible une clientèle très difficile qui reflète les nouvelles réalités de nos centres  ville. Ces personnes souffrent de problématiques multiples, sont poly toxicomanes, plusieurs sont sans logis et quelques uns ont des comportements violents. Dans la littérature, on définit ces personnes comme résistantes au traitement, c'est à dire, qu'elles cessent de prendre leur médication, fréquentent régulièrement les urgences, refusent les traitements ou signent leur sortie de l'hôpital contre avis médical. La plupart d'entre elles reçoivent des prestations d'assistance sociale, sont sans réseau significatif sinon avec des personnes qui sont dans la même situation qu'elles. 

Les agents de quartier, en dépit de la dimension pro  active du projet  démonstration et influencés par les pressions du milieu, ont donc dû s'écarter des objectifs initiaux du projet et intervenir de façon réactive aux demandes des citoyens. Nous avons mis sur pied une équipe mobile de crise avec des formes d'interventions très actives et très insistantes afin d'obtenir la coopération de ces patients résistants un peu à la façon de certains programmes américains (Cohen et al., 1990; Primm, et al.,1990).La rareté des ressources en réadaptation a amené une forte pression dans la communauté auprès des réseaux informels d'aide et des organismes communautaires. Cette pression a été accentuée par les grandes difficultés d'arrimage avec le réseau des services publics, plus particulièrement avec le système psychiatrique. La même impasse avait piégé l'équipe d'agents de quartier mis sur pied par le C.H. psychiatrique Robert Giffard quelques années auparavant. Dans les deux cas, on peut constater que le travail des agents de quartier s'est spécialisé pour permettre de répondre aux demandes de services et tout particulièrement pour les personnes en situation de crise qui épuisent les réseaux et les ressources de la communauté. Dans notre projet la réponse aux demandes d'aide individuelles a amené les intervenants de quartier à s'appuyer davantage sur les réseaux informels d'aide en définissant le modèle d'intervention à l'échelle du quartier et autour d'une structure de support présente dans la communauté. Cette dernière sera définie plus loin. 

Un des moyens qui nous a en partie permis d'éviter le piège du réactif a été d'utiliser l'intervention de crise comme "prétexte". Un prétexte pour connaître et s'intégrer dans un milieu et ainsi rejoindre nos objectifs de dynamiser les capacités d'entraide qui y existent en concertant les gens et faire en sorte qu'ils se solidarisent face à une situation problématique. Chaque fois que possible, les agents de quartier ont essayé de profiter de certaines de ces interventions de crise pour atteindre les objectifs spécifiques du projet en jouant par exemple, un rôle de conciliateurs entre les citoyens et les psychiatrisés (Guay, 1991 et Guay et Chabot 1990). 

Collaboration avec les aidants naturels

Les agents de quartier ont pu identifier, parmi les personnes  pivots, des aidants naturels; c'est –à - dire des personnes qui, à travers leurs activités quotidiennes, s'impliquent personnellement pour aider des personnes souffrant de problèmes en santé mentale et qui semblent posséder des aptitudes naturelles pour le faire. Des aidants naturels ont également été identifiés par le biais des personnes souffrant de problèmes en santé mentale, on leur demandait s'il y avaient des gens dans leur entourage qui les écoutaient quand ça allait mal. Une collaboration  s'est donc développée entre les agents de quartier et ces aidants naturels qui, en échange pour les interventions de crise, ont accepté de s'impliquer dans le projet. Certains de ces aidants naturels, qui étaient aussi des leaders informels dans la communauté, sont devenus des collaborateurs actifs. Un exemple d'une intervention impliquant une aidante naturelle concerne une personne qui hurlait la nuit en appelant le Christ. L'aidante naturelle, accompagnée de quelques autres personnes, lui a dit que ses cris réveillaient les gens la nuit et l'a prévenu que plusieurs résidents du quartier voulaient lui casser la gueule. Elle lui a offert son aide l'a invité à fréquenter le Café que les agents de quartier avaient ouvert avec l'aide des citoyens.

Nos résultats démontrent que nos interventions ses sont faites conjointement avec des membres de l'entourage social ou des résidents du quartier, atteignant ainsi notre objectif de collaboration avec les systèmes informels d'aide

Ouverture d'un lieu de rencontre

Suite aux demandes des citoyens, un lieu de rencontre a été ouvert, dans un site qui avait été suggéré par eux. Le Café l'Archipel d'Entraide a pour mission principale d'accueillir les personnes isolées et marginalisées qui viennent y chercher du support et du réconfort. Il est également un lieu ouvert qui permet aux personnes de s'impliquer dans différentes activités. Un programme de développement d'emploi a été mis sur pied en s'appuyant sur les activités du Café et les interventions effectuées dans le quartier. Une étude d'impact auprès de la population a révélé que le café est perçu comme étant très utile, quant aux usagers ils disent que le café leur permet de faire des contacts et de développer l'entraide. Les intervenants de quartier ont gardé un contact constant avec les voisins afin de les supporter lorsqu'ils ont eu à souffrir des comportements des usagers.

Le café est devenu le point d'ancrage de notre projet  démonstration qui avait dû rompre ses liens avec le CLSC afin de se développer de façon autonome et indépendante. Les difficultés d'intégration du projet démonstration s'étaient d'ailleurs manifestées dès le début à cause de la clientèle marginale rejointe par les travailleurs de rue et qui effrayait le personnel du CLSC . La clientèle habituelle du CLSC se disait également craintive et hésitait à revenir y demander des services. De plus, les intervenants, par solidarité à la cause de la clientèle marginalisée, ont adopté un comportement parfois confrontant, conduisant même certains membres du personnel à rejeter tout ce qui, de près ou de loin, était associé au projet  démonstration. En résumé, la tentative d'intégration du projet au CLSC Haute Ville pourrait se comparer à un processus d'acculturation qui a échoué. Des expériences analogues menéesdans des CLSC de centre ville à Québec et à Montréal nous amènent à conclure que les interventions auprès d'une clientèle marginale ne peuvent s'effectuer dans les mêmes locaux et à proximité de la clientèle courante des CLSC. 

  La collaboration avec le CLSC Haute Ville s'est poursuivie sous forme d'un prêt de service, et d'aide pour trouver le financement nécessaire à la survie du Café l'Archipel d'Entraide.

 

Résultats

L’évaluation d’un projet de ce genre posait des défis particuliers, nous avons effectué ce que nous appelons une analyse de processus, c’est - à - dire un journal qui rendait compte du déroulement des évènements. C’était tout un défi que de saisir, pour pouvoir le mesurer, ce flux constant d’évènements plein de rebondissements et de retournements ponctués de nombreuses crises. À la suggestion de notre chercheure, membre de notre comité scientifique, nous avons analysé ces évènements en identifiant des épisodes, avec un début, un milieu, une fin, et des personnages, un lieu et des actions. Nous avons pu effectuer une analyse quantitative de ces épisodes en identifiant les lieux, les cibles des interventions, les intervenants et le type d’interventions. Nos résultats  démontrent que les tournées auprès des personnes pivot du quartier, qui représentaient 40% des interventions au début du projet (30% dans des commerces), n’en représentaient plus que 3%  à la fin car elles n’étaient plus nécessaires. Le soutien aux personnes faisant partie de l’entourage social des personnes atteintes de troubles sévères en santé mentale, ont représenté une part importante des interventions, tout au long du projet (30 %).

La contribution des aidants naturels est passée  de 2% à 30%. En somme nos interventions se sont faites conjointement avec des membres de l'entourage social ou des résidents du quartier, atteignant ainsi notre objectif de collaboration avec les systèmes informels d'aide.

Nos résultats démontrent que 

Les tournées auprès des personnes pivot du quartier

-      qui représentaient 40% des interventions au début du projet ( 30% dans des commerces), n’en représentaient plus que 3% ( 6% dans les commerces), à la fin car elles n’étaient plus nécessaires. 

Le soutien aux personnes faisant partie de l’entourage social des personnes atteintes de troubles sévères en santé mentale, 

-      ont représenté une part importante des interventions, tout au long du projet ( 27 % 32 %). 

La contribution des aidants naturels est passée  de 2% à 30%. En somme nos interventions se sont faites conjointement avec des membres de l'entourage social ou des résidents du quartier, atteignant ainsi notre objectif de collaboration avec les systèmes informels d'aide.

 

Résultats

    

                                                                  phase 1           phase  2         phase 3

                                                                  (109)                 (683)                (180)

Interventions

tournées                                                   40%                15%                   03%

crises                                                        06%                 05%                  08%

conciliation                                              08%                  02%                  0%

réseau                                                       09%                  12%                14%

soutien                                                      27%                  24%                32%

développement                                        06%                  26%                12%

(café)

concertation                                             18%                  20%               19%

référence

Lieux

domicile                     16%                 13%                07%

commerces                 30%                  09%               06%

lieux publics               17%                  14%             15%

café                             15%                  30%              48%

Cibles

client ident.                26%                   29%             42%

 

famille                        23%                   08%              09%

 

citoyens                      33%                  10%               06%

 

Intervenants

professionnels            59%                   26%             25%

 

aidant - coll                02%                   16%             30%

 

 

Analyse d’impact du Café

Des citoyens particulièrement acceptants

Au tout début du projet nous avons voulu évaluer le seuil de tolérance des résidents du quartier St – Jean - Baptiste, en réalisant un sondage portant sur les attitudes face à la maladie mentale. Notre sondage a été effectué dans le prolongement d'un sondage similaire effectué pour l'ensemble du Québec métropolitain, réalisé sous la direction du module de recherche du Centre - Hospitalier Robert Giffard.  Le plan d'entrevue demandait aux répondants d'exprimer leur position face à l'arrivée prochaine, sur leur rue et comme voisins, de 2 à 6 personnes avec une maladie mentale qui habiteraient dans une ressource adaptée.  Le sondage téléphonique s'est déroulé du 27 mars au 10 avril 1990. 

Les citoyens du quartier St-Jean-Baptiste se sont dits acceptants face aux personnes souffrant de troubles mentaux ; en effet seulement 14,5% des résidents se disaient défavorables à l'arrivée, sur leur rue, d'une ressource pour personnes souffrant de troubles mentaux. Ce pourcentage est assez faible, si on le compare au 31,4% obtenu pour le Québec-Métro et vice-versa si on compare les 54% des citoyens favorables dans St-Jean-Baptiste aux 40% du Québec métropolitain.

En résumé, notre milieu d'intervention se révélait particulièrement propice à l'expérimentation de notre modèle d'intervention puisqu'il se caractérisait par des relations sociales serrées, une tradition d'entraide et un niveau élevé d'acceptation face aux personnes qui souffraient de troubles mentaux mais soumis au pressions d'un quartier du centre-ville.

Le projet a eu des impacts à plusieurs niveaux

1 - Impact dans le quartier

Pour réaliser l'étude d'impact du projet dans le quartier, nous avons procédé à partir d'entrevues individuelles et de  groupe. Les entrevues de groupee ont été réalisées pendant les mois de février et mars 1991 et les entrevues individuelles à la fin du projet; soit pendant le mois d'octobre et novembre 1991.

Cinq groupes ont été formés, composés chacun d'environ dix personnes. Les entrevues ont été réalisées auprès de 60 personnes choisies aussi à partir de la taxonomie des participants dégagée dans le projet (16 femmes 44 hommes); la majorité était dans la trentaine, 11 avaient moins de 30 ans et 4 plus de 40. Les participants se subdivisaient de la façon suivante: d'abord, des personnes suivies dans le cadre du projet de Case management (4), des personnes qui fréquentent le café (4), des personnes aidées dans le cadre d'interventions dans la communauté (4), d'aidants-aidés (6), d'aidants-collaborateurs (8), d'aidants qui sont devenus "allergiques" au café (7), d'aidants citoyens qui sont intervenus de façon ponctuelle (4), de membres de famille ou de proches impliqués dans une intervention (4),de personnes-pivots (6), de voisins immédiats du café (8) et de cinq (5) représentants d'organismes (CLSC, DPJ, Ville, comité de citoyen du quartier et du milieu des coopératives d'habitations). Les entrevues ont étés réalisées à partir de questions ouvertes autour de trois axes: A. la perception  du quartier B. Perception du café et de l'organisme et C. Le modèle d'intervention.

Pour les fins de l'analyse, nous avons regroupé les résultats  autour de deux catégories: les acteurs qui sont les personnes ayant des contacts directs avec le projet (internes), et les partenaires qui ont une vision extérieure du projet: proches, citoyens, personnes - pivot, organismes (externes).

L'analyse de contenu s'est faite à partir des unités de réponses des participants, qui ont été regroupées par catégories dans une matrice. Ensuite, la fréquence d'apparition des catégories a été évaluée. Les catégories de réponses qui sont présentées plus bas ont donc été reconstruites à posteriori et sont un reflet fidèle du verbatim des participants.

Les résultats des entrevues de groupe et des entrevues individuelles ont fait ressortir que le projet Parrainage social et Entraide de quartier a effectivement favorisé l'épanouissement et la réinsertion des personnes en difficulté dans le contexte particulier du centre ville. Les résultats des entrevues individuelles et de groupe témoignent de l'importance du café comme lieu de rencontre et comme point d'appui pour le développement du modèle d'intervention. Pour les personnes en difficulté, qu'il s'agisse de jeunes marginalisés, ex-psychiatrisés, ex-détenus et toxicomanes, la participation au projet a semblé diminuer la solitude et l'isolement et permettre de socialiser et de créer des réseaux.  

Selon l’opinion des usagers du Café, le café les a aidés à diminuer leur solitude (13), aider les autres (11), créer des réseaux sociaux (8), s’affirmer et se sentir utiles (7) et travailler (7).

"venir au café fait changement de me parler toute seule dans ma chambre en regardant quatre murs et aussi de se promener sans savoir où aller, au froid dans les rues." 

" Avant l'existence du Café, j'étais rien, je me sentais inutile, j'étais nulle part. Là, je suis occupé, j'aide d'autres gens." 

"Ici on est traité comme du vrai monde, on nous écoute, on nous comprend, on ne nous bourre pas de médicaments." 

Les collaborateurs externes ou les citoyens voient que le Café joue un rôle essentiel dans la réinsertion sociale des personnes en difficulté (12) , et la grande importance des relations d’entraide (12), le Café apporte un soutien au quartier (7), et tous souhaitent que le projet soit mieux connu (16) ; mais ils pensent que le projet est chaotique parce qu’il manque de structure et d’organisation (9)

"le café sert d'outil de sensibilisation et d'information, c'est comme un dernier recours pour les gens dans le besoin. C'est un soutien si tu as besoin d'aide".

 “Le café permet en quelque sorte que nos décrocheurs aient une place à eux avec un certain soutien moral."

"Il (le café) fournit aux clients l'occasion d'aller jaser, c'est un endroit où ils se sentent chez eux sans qu'on ne leur demande rien. "ils (les gens du café) ont trouvé le pourquoi avec ce qu'ils viennent de faire, c'est merveilleux".

 

Le modèle de case management du projet urbain

Vers la fin du projet, nous avons recruté quatre aidants naturels dont la tâche était d'assurer un suivi régulier auprès d'un certain nombre de personnes. Ces accompagnateurs (case managers) ont pour rôle d'accompagner et de soutenir l'aidé dans ses démarches de réintégration et de supporter son réseau social, c'estàdire les proches et la famille. Ils sont des résidents du quartier et ont d'abord été impliqués au Café comme aidants naturels. Ce sont des personnes dans la trentaine qui ont connu des expériences de vie difficiles. Ayant déjà été des marginaux, ce sont des gens tolérants en mesure de comprendre les clients et de les accepter.

Les accompagnateurs vont intervenir soit à la suited'une demande d'aide venantd'une personne  pivot, soit au travers de leurs activités régulières de suivi. Lorsqu'une personne en difficulté manifeste des comportements dérangeants, un citoyen comme une personne  pivot (dépanneur du coin, la préposée au lavoir, le concierge de l'immeuble etc.) contacte l'équipe. Les personnes  pivots connaissent maintenant assez bien les personnes pour savoir reconnaître les signes avants  coureurs de difficultés qui s'en viennent. Ainsi, elles savent que lorsque Bob leur fait de longs discours sur la politique internationale c'est qu'il a cessé de prendre sa médication. Elles savent aussi que si on laisse aller les choses sans intervenir ses comportements vont s'aggraver et que Bob peut devenir très agressif car il en vient à se prendre pour le soleil et le reste de l'humanité pour des lézards; l'hospitalisation devient alors inévitable. Si un aidant naturel est présent il peut intervenir pour dédramatiser la situation jusqu'à qu'un accompagnateur arrive. En fait, les aidants naturels vont toujours intervenir de façon ponctuelle c'estàdire lorsque la situation l'exige et s'ils sont présents au moment opportun. Lorsque l'accompagnateur intervient, il prend la situation en main et fournit une aide à Bob pendant que la situation n'est pas encore très détériorée empêchant ainsi les ré hospitalisations répétées qui ont caractérisé sa carrière de malade mental jusqu'à maintenant. Quant aux deux intervenants professionnels , ils interviennent uniquement lorsque l'hospitalisation devient inévitable; ils apportent de la crédibilité dans les démarches auprès des institutions surtout pour les cas d'ordonnance de cour. Ils supervisent le travail des accompagnateurs, les supportent et fournissent une expertise clinique. 

 


 

 

 

 II-  ÉQUIPES - TERRITOIRE : L’APPROCHE MILIEU EN CLSC 

 

La décentralisation en équipes territoire

Peu de temps après avoir amorcé le projet « Parrainage social », nous avons voulu ensuite expérimenter l’approche proactive dans un contexte totalement différent, soit dans un milieu rural auprès d’une clientèle variée couvrant tous les types de problématiques dans un service de première ligne. Le projet en milieu urbain a donc été jumelé à un deuxième en milieu rural, sur le territoire du CLSCCA des Appalaches à l’aide de deux subventions, une provenant du MSSS et l’autre du CSSS de la région de Québec.

Nous étions placés devant le constat que le manque de sensibilité et d’adaptabilité de nos services publics, aux besoins des gens et à leurs conditions de vie était dû au fait que l’organisation de services était centrée sur des programmes définis autour de clientèles, de problématiques ou de groupes d’âge.

Pour faciliter la relation entre un établissement et la communauté afin que l'organisation des services colle à la réalité de la communauté locale, il est nécessaire de rompre avec une gestion des services par programmes, (Jacques Roy (1989). Nos contacts continus avec les expérimentations en Angleterre renforçaient allaient dans le même sens ; le professeur Hadley, en visite au Québec, avait conclu que le principal obstacle à l'implantation de l'approche était le fait que nos programmes structuraient nos services (Le Devoir,9 sept., 1988).)

L’implantation d’équipes milieu en remplacement des équipes programme, a donc été choisie comme stratégie, afin de substituer la logique programme par la logique territoire et milieu de vie. Notre souhait était que cette structure décentralisée augmente la flexibilité et la capacité du CLSC à innover, tout en comportant l’avantage de réduire la quantité d’énergie dépensée à communiquer, à coordonner et à prendre des décisions. 

Les changements organisationnels au CLSC des Appalaches.

En vue de faciliter le rapprochement praticiens  citoyens et dans le but d'orienter davantage les services en fonction des besoins de la communauté qu'en fonction des impératifs des programmes, le CLSC CA des Appalaches a remplacé les équipes "maintien à domicile", "enfance famille" et l'équipe psychosociale par quatre équipes milieu" : trois équipes qui couvrent les villages du nord, du centre et du sud du territoire et la quatrième installée à la polyvalente. C’est l'équipe milieu devient la porte d'entrée du CLSC pour la communauté: toute demande de service qui y est adressée (par téléphone ou sur place) est immédiatement acheminée par la réceptionniste à l'intervenant social de l'équipe milieu. C'est donc le lieu de résidence plutôt que l'âge ou le type de problématique qui détermine le mode d'intervention. Les équipes milieu procèdent à l'analyse de la demande et à l'organisation du plan d'intervention de sorte que les interventions sont définies en fonction de la communauté locale d'où origine la demande. Suivant la nature de la demande, une équipe soutien apporte ponctuellement son expertise aux équipes milieu. Ce changement organisationnel a permis la suppression presque totale des journées présence des intervenants au CLSC, réduisant ainsi le délai de réaction aux demandes provenant de la communauté.

La décentralisation des équipes de première ligne présente les caractéristiques suivantes, telles qu’identifiés dans l’expérience des patch :

Avantages

- Assure la visibilité et l’accessibilité des intervenants ce qui leur permet de répondre de façon rapide, flexible et adaptée aux besoins des usagers ;

- permet aux gens des communautés d’identifier plus facilement les intervenants et d’avoir plus rapidement accès à leur services ; ainsi, les personnes de la communauté comprennent mieux les possibilités et les limites qu’offre la présence des intervenants dans leur milieu ;

- accroît l’acquisition de connaissances sur les besoins et les ressources de la communauté locale

- adapte les intervenants et les modalités de fonctionnement aux réalités locales et améliore la capacité de répondre aux besoins qui y sont exprimés ;

- utilise à bon escient les ressources du milieu ;

- facilite la concertation avec d’autres instances locales et partenaires du milieu.

Critères peuvent servir à évaluer le degré de décentralisation :

- Le local des équipes doit être facile d’accès pour les usagers

- Le territoire couvert est assez petit pour que les intervenants deviennent  largement connus des usagers, des autres agences et réseaux et des personnes de la communauté

- Le territoire couvert est assez petit pour que l’équipe puisse en acquérir une connaissance suffisamment complète qui permette d’être sensible et adaptable.

Une condition : la délégation d’autonomie

La capacité de l’organisation à s’adapter de façon flexible, efficace et appropriée nécessite qu’une bonne partie du processus de prise de décision soit consentie aux équipes de première ligne. La plus grande autonomie, laissée aux intervenants de première ligne, est dictée par la nécessité de s’adapter aux particularités locales du contexte de vie des usagers.

Par contre, cette plus grande autonomie doit se fonder sur une communion au niveau du partage des valeurs organisationnelles. L'accès à une plus grande marge de manœuvre pour les équipes décentralisées, doit avoir été précédé par une démarche d'appropriation collective des orientations de l’organisation de telle sorte que les prises de décision locales reflètent la diversité contextuelle en même temps qu’elles expriment la même philosophie, partagée par tout le personnel. En effet, malgré la grande autonomie décisionnelle, on doit pouvoir reconnaître un même style, une même façon de travailler dans chacune des équipes.

Le territoire du CLSC CA des Appalaches. Le territoire du CLSC CA des Appalaches est situé à la frontière des États Unis et à 150 km au sud est de la ville de Québec. Il couvre sept (7) villages dont les populations varient de 800 à 3,000 habitants. Depuis 1966, ce territoire fait face à une décroissance démographique régulière accentuée aux deux extrêmes de la pyramide des âges, ce qui a pour effet de désintégrer graduellement le tissu social des communautés qui y vivent. Les ressources institutionnelles, parce qu'éloignées, sont difficilement accessibles (spécifiquement les hôpitaux) et il n'existe dans la communauté aucune ressource intermédiaire se situant entre les services psychiatriques hospitaliers et les services sociaux courants des CLSC.

Sur le territoire du CLSC CA des Appalaches, comme c'est souvent le cas en milieu rural, c'est la famille qui constitue l'influence déterminante et prédominante de la vie sociale. La vie sociale des villages est fortement influencée par deux ou trois clans familiaux. Certains de ces clans familiaux entretiennent de bonnes relations entre eux alors que d'autres vivent des conflits qui peuvent originer de rivalités politiques ou de compétitions économiques antérieures. Plus les familles sont enracinées depuis longtemps dans le milieu, plus les clans sont gros et plus ils se subdivisent en embranchements relativement autonomes. Il existe également quelques familles et un certain nombre de marginaux qui ne sont pas intégrés dans ces réseaux sociaux. Ces réseaux familiaux commencent toutefois à se désintégrer à cause des mauvaises conditions économiques qui ont forcé les jeunes à aller chercher de l'emploi ailleurs. Une étude que nous avons effectuée sur les réseaux de support social pour les personnes âgées d'un village a démontré que le départ des jeunes rend les personnes âgées plus vulnérables et entraîne des demandes de services plus rapides au CLSC. (Desbois, 1992)

Afin de se rendre visibles, les praticiens ont veillé à être le plus souvent possible dans la communauté en étant présents dans les lieux publics et en se servant de leurs activités de dispensateurs de services pour accroître leurs connaissances du milieu. En milieu rural, les endroits publics sont peu nombreux. Dans notre projet démonstration, c'est plus particulièrement au casse croûte, en profitant d'une pause café ou d'un repas pour établir des liens avec des gens et parfois procurer du support aux aidantes naturelles, que la praticienne a effectué ses observations et ses interventions. D'autres stratégies ont également été utilisées comme celle de consommer des services dans la communauté ou de participer à des bingos et des rencontres de groupe. La tradition de bon voisinage, typique au milieu rural, a été mise à profit par les intervenants qui arrêtaient, en passant, chez des personnes qu'ils connaissaient dont  d'anciens clients.

Cette plus grande accessibilité du praticien permet d'obtenir des informations préalablement à la demande future de service formelle, ces informations sont fournies par des tierces personnes, c'est – à - dire des personnes autres que l'usager ou un proche. Selon Roger Hadley (1984), plus grande est la quantité d'informations que possède le praticien sur ses nouveaux clients, avant même de les rencontrer pour la première fois, mieux il a réussi à combler le fossé entre lui et la communauté où résident ses clients.

Ce qui caractérise ces petites communautés, c'est le fait que tout le monde se connaît. Cette réalité, tout en facilitant l'entraide, accroît la pression normative. La pression normalisante de réseaux sociaux plus serrés peut exercer un contrôle social stigmatisant. C'est surtout pour les personnes marginales que ce contrôle social peut s'avérer un facteur de détérioration du réseau de support et créer des situations à risque au niveau de la santé mentale. Le commérage constitue un processus de diffusion de l’information qui a comme caractéristique de transporter les valeurs de la communauté en même temps que l'information. Les placoteux, en "colportant" des jugements sur les comportements des gens, sont des acteurs très influents dans le processus de contrôle social. Les praticiens ont été à même de constater que les personnes marginalisées sont celles qui sont le plus susceptibles de souffrir du placotage car elles ont déjà de la difficulté à accepter leurs différences et sont très sensibles à l'opinion des autres. Par ailleurs, les informations véhiculées par les placoteux ont aidé les praticiens à comprendre la sousculture de la communauté et à se sensibiliser aux comportements ou aux façons de vivre qui heurtent les valeurs des gens. Les placoteux expriment tout haut les malaises que les citoyens ressentent. D'ailleurs, le simple fait pour les intervenants de se rapprocher du milieu a provoqué un choc des valeurs et ce sont ces mêmes placoteux qui ont exprimé ce choc des valeurs.

Des services informels et polyvalents pour de nouvelles clientèles à risque

La plus grande visibilité et accessibilité des intervenants a toujours comme première conséquence de provoquer une hausse des demandes de services (Hadley et al. 1987 et Bayley et al. 1985). En effet, les interventions des praticiens se faisant surtout dans la communauté, deux fois plus de personnes ont pu être rejointes au cours de la première année du projet qu'au cours de l'année précédente.

Ces nouvelles demandes provenaient en bonne partie de clientèles à risque ne recevant pas de services du CLSC avant le début du projet; telles des problèmes de santé mentale (transitoires et sévères), toxicomanie, suicide, violence conjugale et familiale. Les difficultés économiques sérieuses de la région se sont traduites par une hausse dans les types de demandes associées aux conditions de vie (Bien être social; Assurance chômage, logement etc.) et plus particulièrement au niveau des demandes de dépannage pour les familles.

Près du tiers des interventions a été effectué sur une base informelle, c'est - à - dire des interventions du tac au tac qui n'ont pas été inscrites au dossier. Nos résultats montrent que même si la proportion de services rendus de façon informelle était beaucoup plus grande pour les nouvelles problématiques que pour les services habituels, une certaine proportion des services rendus par le biais des programmes traditionnels l'étaient dorénavant de façon informelle en se déroulant davantage dans la communauté et en impliquant un partage de prise en charge. Auparavant, ces services étaient tous rendus de façon formelle dans un processus de prise en charge individuelle et dans les locaux du CLSC (Chabot, Mercier et Guay, 1993). 

Les praticiens des équipes  milieu ont adopté comme stratégie de transformer toute demande individuelle en une analyse de la demande impliquant toutes les personnes concernées par la situation problème. En conséquence, le partage des responsabilités s'est manifesté par le fait que plus du tiers des interventions a ciblé une personne du réseau, familial ou élargi, plutôt que le client identifié comme c'est habituellement le cas. Plus des deux tiers des interventions informelles originent d'une personne de l'environnement social. 

Résultats

Dans notre projet - démonstration, c'est plus particulièrement au casse-croûte, en profitant d'une pause-café ou d'un repas pour établir des liens avec des gens et parfois procurer du soutien aux aidantes naturelles, que les intervenants ont effectué leurs observations et leurs interventions. D'autres stratégies ont également été utilisées comme celle de consommer des services dans la communauté ou de participer à des bingos et des rencontres de groupe. La tradition de bon voisinage, typique au milieu rural, a été mise à profit par les intervenants qui arrêtaient, en passant, chez des personnes qu'ils connaissaient dont d'anciens clients. Étant donné que toutes les demandes sont retournées à la communauté pour y être traitées, le praticien y passe maintenant la majeure partie de son temps ( 80%). 

Lieux d’intervention

CLSC                             20%

Communauté                 80%

Le client identifié a été la cible de 48% des interventions, mais les interventions ont rejoint le réseau familial (22%) ou élargi (13%) pour un total de 35% des interventions qui ciblaient une personne du réseau. Quant aux organismes communautaires et les groupes du milieu, ils regroupent 5% des interventions[1]. Les autres organismes du réseau de la santé et des services sociaux et autres services publics ont été la cible de 10% des interventions. Il est à noter que les interventions de réseau nécessitent beaucoup d’interventions téléphoniques ( 39%).

Cibles

Client ident.                            48,33%

Famille                                   21,67%

Réseau élargi             12.53%

Organismes publics   10,11%

Organ, commun                     05.03%

       Téléphone                       39 % 

        

L'intervention de réseau implique donc que la cible de l'intervention cesse d'être le client identifié pour devenir les personnes de l'entourage social, de telle sorte qu'il est parfois difficile  de distinguer qui est le véritable client de l'intervention. 

De plus, les interventions de soutien au réseau sont les plus fréquentes (20%); ces personnes deviennent alors les véritables cibles des interventions. Il arrive donc souvent que le client change en cours d'intervention, ce qui fait que le client ciblé au départ est remplacé par quelqu'un de son réseau social.

Les tournées hebdomadaires dans les lieux publics et auprès des collaborateurs constituent une part importante des interventions (14%). Quant aux autres activités soient : l’évaluation, l’intervention de famille/réseau, les références, la thérapie brève et l’intervention de crise, elles continuent d’être les interventions courantes d’une pratique de première ligne, comme le sont l’amélioration des conditions de vie, la concertation et le développement de projets.

Interventions

Soutien                       20.53%

Tournées                    14.07%

Evaluation                  13,16%

Interv fami/réseau      08.61%

Référence                   08.85%   

Thérapie brève           04.74%

Crises                         01.16%   

Conditions de vie       07.85%

Développement          05,54%

Concertation               0,27%   

 

Interventions informelles et clientèles à risque

Quatre grandes caractéristiques ressortent des résultats :

-   Une hausse des demandes d’aide

-   Des interventions informelles

-   Des références qui proviennent du réseau

-   Une capacité à rejoindre les clientèles à risque

Les résultats pour une année montrent qu'il y a eu deux fois plus de personnes rejointes (1187 par rapport à 666 pour l'année précédant le début du projet). Si les intervenants ont pu répondre à ce nombre accru de demandes, c'est parce qu'ils ont  réussi à partager la responsabilité de la prise en charge en établissant des relations de collaboration avec les personnes faisant partie de la famille élargie et de l'environnement social. 

Cette hausse de demandes de services s'est manifestée, dans un premier temps, par une hausse des interventions informelles, soient des services du tac au tac qui s'effectuent sur le champ sans ouverture de dossier.  Cette première vague a été suivie par une deuxième vague d'interventions qui étaient soit des interventions de crises soit des interventions cliniques formelles. Au total, c'est 31 % des interventions (723 sur 3,400) qui  sont informelles. En somme, 31% des interventions sont initiées par des actions résultant du travail effectué dans l'informel, c'est à dire qui traditionnellement n'aurait pas été noté au dossier. Mais même si 69% des interventions sont de nature plus formelle, elles se sont presque toutes déroulées dans la communauté. 

L'intervention informelle consiste en de l'information, des conseils, de la dédramatisation, une intervention brève (une ou deux rencontres) qui réussissent à solutionner le problème. Il y a aussi des références, surtout aux systèmes informels d'aide.

Une conséquence de l'approche réseau est que le processus de référence est basé sur le contact personnel et la confiance des citoyens qui demandent au praticien de donner des services à un membre de leur entourage social. Nos résultats démontrent une hausse des demandes provenant d'un tiers. En effet, en ce qui concerne les interventions pro-actives ou informelles, 69% originent d'une personne de l'environnement social et ont donc impliqué leur collaboration (seulement  31% de ces demandes provenaient du client lui-même).

Il s'agit d'un véritable partage de la prise en charge avec la communauté puisque 69% de ces personnes étaient des citoyens qui ne faisaient pas partie de la famille du client ou de ses proches. On appelle ces citoyens des personnes - pivots soient des personnes qui ont une certaine visibilité dans la communauté soit parce que leur travail les met en contact avec beaucoup de citoyens soit parce qu'elles sont des aidants naturels. 

En ce qui concerne les interventions formelles, la demande origine du client lui-même dans les deux tiers des cas (66%), alors que 34% des demandes proviennent d'un proche de la personne en difficulté.

Origine de la demande d’aide

Interventions informelles

client identifié                                    31%

environnement social                         69 %    ( 64% ne sont pas membres de la famille)

 

Interventions formelles

client identifié                                     66%

environnement social                         34%

 

Enfin, la plus grande visibilité et accessibilité des intervenants leur a permis d'intervenir auprès de clientèles à risque qui ne recevaient pas de services du CLSC avant le début du projet. En effet, dans 22% des cas, les intervenants ont procuré des services pour de nouvelles problématiques telles des problèmes de santé mentale (transitoires et sévères), toxicomanie, suicide, violence conjugale et familiale. La proportion des services rendus de façon informelle est d'ailleurs beaucoup plus grande pour les nouvelles problématiques que pour les services habituels (40% à 65%). Mais il n'en demeure pas moins que, pour les programmes traditionnels, 20% de services étaient rendus de façon informelle alors qu'ils étaient tous rendus de façon formelle auparavant, c'est-à-dire se déroulent dans la communauté et impliquent un partage de prise en charge. Réalisé dans un milieu en désintégration, notre projet, nous a permis de constater une hausse dans les types de demandes associées aux conditions de vie (Bien-être Social, Assurance-chômage, logement etc..), plus particulièrement dans les demandes de dépannage pour les familles (.ces interventions sont regroupées dans la catégorie gestion budgétaire)

Tableau : Origine de la demande par problématique 

             Formel             Informel             Référence

Soutien à domicile   (22,03%)             

              65%                  15%                   29%

Scolaire   (20,71%)            

               33%                 (31%)                (35%)

    secondaire    (12,48%)             

               35%                 35%                 30%

    primaire    ( 8,23%)        

               31%                 28%                 41%

Psychosocial   (11,46%)             

               65%               23%                 12%

Enfance famille jeunesse     (8,85%)

      Famille   (7.64%)             

               48%               27%                  15%

           Jeunesse 0 – 5 ans   (1,21%)             

               38%             28%                  34%

Gestion budgétaire   (8,73%)             

               66%             25%                    9%

 

CLIENTÈLES NOUVELLES  (22%)

Psychiatrie  (7,33%)             

                32%              52%                   16%

Violence  (5,54%)             

                 39%             45%                    16%

Santé mentale  (2,42%)             

                19%               78%                     13%

Suicide   (2,85%)             

               38%              38%                       24%

Toxicomanie  (2,53%)             

              49%              43%                        8%

Abus sexuel    (0.08%)             

              49%                0%                     51%

 

Développement    (5,54%)             

              26%               66%                     8%

Concertation  (0,27%)             

              58%             19%                      23%

Autre    (1,68%)             

              45%             27%                    28%

 

 

Le modèle d'intervention intégré du projet rural

Ce qui caractérise, le modèle d'intervention en milieu rural en plus de sa grande polyvalence, c'est l'intégration entre les dimensions cliniques et communautaires de l'intervention. 

Illustration

Le déroulement des interventions fait suite à une demande d'aide d'une femme concernant son frère suicidaire, l'intervenante organise une rencontre réunissant cette femme, une de ses soeurs et l'homme en question. Après avoir encouragé ces femmes à exprimer leurs craintes, l'intervenante les a soulagées de leur sens de responsabilité face à leur frère qui avait été touché par leur inquiétude à son endroit.

 Elle apporte son support aux deux soeurs tout en acceptant d'assumer son rôle professionnel face à leur frère dans la mesure où celui-ci est motivé à se faire aider par elle. Celui-ci dit qu'il n'a pas demandé d'aide à personne et qu'il ne ressent aucun besoin sauf du coté monétaire car il est sans le sou, son déménagement ayant causé un délai dans la réception de son chèque de Bien-Etre Social; le graphique plus bas illustre les interventions qui s'en sont suivies.

L'intervenante, dans le cadre de sa tournée pour mieux connaitre les réseaux sociaux de la communauté, avait donné une conférence sur la santé mentale à la demande des Filles d'Isabelle. Elle avait refusé d'accepter l'honoraire que celles-ci lui offraient leur demandant de conserver l'argent en cas de besoin futur. Etant donné que la présidente des Filles d'Isabelle demeurait de l'autre coté de la rue, elle va y chercher l'argent et revient le donner au client. En fait c'est le mari, en l'absence de sa femme, qui remet l'argent à l'intervenante et en profite pour l'inviter à visiter une association dans laquelle il est impliqué; "La maison Manitoba". 

Après avoir remis l'argent à P. l'intervenante lui dit qu'elle est disponible pour l'aider et qu'il peut l'appeler lorsqu'il en resssentira le besoin. Quelques jours plus tard, P. appelle en crise, il a des idées suicidaires; l'intervenante établit un pacte de non suicide d'une durée d'un mois et lui demande de s'inscrire dans un goupe d'AA étant donné les problèmes d'alcoolisme dont il parle. Ensuite, elle accepte de lui procurer le suivi individuel qu'il lui demande à la condition qu'il l'accompagne dans ses interventions communautaires. Le but visé était  d'augmenter son estime sociale et personnelle, en valorisant ses compétences sociales et ses capacités personnelles tout en empêchant que se développe une dépendance envers elle. En effet au travers de cet accompagnement, il serait constamment mis en contact avec d'autres personnes dans la communauté ce qui aiderait l'intervenante à poursuivre sa connaissance du milieu, tout en empêchant de s'enfermer dans une relation exclusive. En somme, le suivi individuel se passerait principalement dans l'automobile et amènerait P. à adopter un rôle d'aidant naturel.

 P. accepte 

- d'accompagner l'intervenante au Groupe Manitoba où il a l'occasion de l'observer pendant qu'elle établit un rapport de collaboration avec cette association qui a été fondée par des résidents du rang qui porte le nom de Manitoba. Ainsi, l'intervenante prend entente pour qu'on y intègre deux adolescents aux comportements délinquants afin qu'ils s'impliquent comme bénévoles pour aider les démunis.

- de se joindre aux rencontres de cuisine où il peut échanger avec d'autres personnes qui ont, comme lui, des idéations suicidaires.

- de se joindre au Groupe AA, dans lequel il prend un rôle très actif comme aidant naturel auprès de deux membres du groupe.

- d'accompagner l'intervenante dans son travail , plus particulièrement au casse-croûte, où il devient un collaborateur en l'aidant à mieux connaitre les réseaux qu'il connait très bien et à identifier des aidants naturels.

 

Interventions de réseaux auprès des personnes agées

Le projet démonstration du CLSC des Appalaches a fourni un contexte favorable pour conduire une étude des réseaux sociaux des personnes âgées résidant dans un des villages du territoire couvert du CLSC des Appalaches (Desbois, 1992, Chabot et al., 1994). Lorsque nous avons cherché à trouver les instruments qui nous seraient les plus utiles pour développer notre propre grille d'évaluation du réseau social c'est la typologie des réseaux sociaux développée par Clare Wenger (1992) qui a retenu notre attention. Cette typologie a été construite à partir de plusieurs recherches de nature longitudinale effectuées auprès d'une population de personnes âgées entre 65 et 99 ans et résidant dans un milieu rural du Royaume-Uni, le Pays de Galles. Cette typologie, définie dans l'encadré plus bas, est sans doute celle qui est la plus développée et la plus utile à un type d’intervention centrée sur la communauté. Elle  est basée sur des facteurs tels que la sociabilité des personnes, leur implication dans la communauté, leur tempérament auto-suffisant ou non, la disponibilité ou non disponibilité des enfants; elle accorde une grande importance sur le soutien informel des voisins.

Les éléments qui ont servi à définir les réseaux de support sont: la disponibilité et la proximité de la famille ainsi que le degré d'engagement démontré par l'individu par rapport à sa famille, ses amis, ses voisins et la communauté.  Les cinq types de réseau ont chacun leur orientation propre.  Ainsi, le réseau de support local intégré est orienté vers la famille et les amis, tandis que le réseau de support local autonome s'oriente autour de la maisonnée alors que le réseau de support communautaire élargi a une orientation extra-familiale. Pour ce qui est du réseau de support à dépendance familiale et du réseau de support individuel restreint, l'orientation est, pour le premier, centrée sur la famille immédiate qui prend soin de la personne (souvent un enfant), et, pour le second, le (ou la) conjoint(e).

 

1.Le réseau de support local intégré(The local integrated support network), (33% de l'échantillon ) se caractérise par des liens étroits avec la famille locale, les amis et les voisins; il est habituellement basé sur une résidence de longue date et une implication communautaire active présente ou dans un passé récent.

2.Le réseau de support local autonome(The local self-contained support network), (18% de l'échantillon) se caractérise par des contacts peu fréquents, sinon absents, avec la parenté locale et compte principalement, en cas de besoin, sur les voisins. Les gens ayant ce type de réseau ont souvent une nature réservée, solitaire et un style de vie centré largement sur leur maisonnée personnelle.  Ils ont donc très peu d'attentes envers les autres.  L'implication communautaire, si présente, est de peu d'importance. Ce type de réseau peut être associé avec l'absence d'enfant(s) demeurant dans la même région.

3.Le réseau de support communautaire élargi(The wider-community focused support network), (14% de l'échantillon) se caractérise par une parenté à distance, l'importance accordée aux amis et à quelques voisins, ainsi qu'un haut niveau d'implication au niveau des activités de la communauté et des organisations locales.  Ce réseau est habituellement associé avec l'absence de parenté locale.  Des liens sont maintenus avec la famille et les amis éloignés grâce au téléphone, à la correspondance et aux visites réciproques courantes.  Les individus ayant un réseau de ce type protègent jalousement leur indépendance mais acceptent l'aide quand ils ont décidé qu'elle était nécessaire; généralement, ils ont la compétence pour organiser l'aide qui leur est apportée.

4.Le réseau de support à dépendance familiale(The family dependant support network), (22% de l'échantillon) se caractérise principalement par des liens étroits avec la famille locale et quelques amis ou voisins périphériques (les relations sont superficielles et il s'agit souvent d'amis ou de voisins de son, ou ses enfants, plutôt que de l'individu lui-même).  Ce réseau décrit une situation où la personne compte sur sa famille immédiate pour combler la majorité de ses besoins.  De plus, ce type de réseau se base souvent sur la cohabitation, ou le voisinage intime, avec un enfant adulte (habituellement une fille).

 5.Le réseau de support individuel restreint(The private restricted support network), ( 10% de l'échantillon) se caractérise par l'absence de parenté locale, autre que le (ou la) conjoint(e), l'absence d'amis locaux, des relations superficielles avec les voisins, ainsi qu'un contact limité avec la communauté.  Les gens ayant ce type de réseau sont caractérisés par leur indépendance déterminée et, dans la plupart des cas, par une attitude méfiante pour qui ne fait pas partie de la parenté.

La grande utilité de cette typologie vient du fait qu'elle permet de prédire quand et à quel point les personnes âgées auront besoin de services et donc d'orienter le praticien social quant aux interventions les plus appropriées qu'il serait pertinent d'effectuer auprès du réseau social. Selon Wenger (1987), les personnes âgées ayant un réseau de support à dépendance familiale, basé sur l'aide apportée par un ou quelques membres de la famille, sont plus vulnérables que les autres par rapport aux changements pouvant survenir dans leur entourage. Ainsi, si le (ou les) individu(s) autour duquel s'articule le réseau de support vient à disparaître (le ou les enfants, par exemple), la personne âgée se retrouve alors dans une situation où le support est quasi ou totalement absent.

 Nous avons utilisé l'instrument mis au point par Clare Wenger pour faire une évaluation des réseaux de support social de plusieurs personnes âgées d'un petit village dans les Appalaches, Province de Québec (Desbois, 1992, Chabot et al., 1994). 

 A St-Marcel, parmi les 25 personnes rencontrées, on retrouve ces réseaux dans l'ordre suivant: communautaire élargi (N=11), local intégré (N=7), dépendance familiale (N=4), individuel restreint (N=2) et local autonome (N=1). Donc, 14 parmi les 25 réseaux de support (soit 11 communautaire élargi, deux individuel restreint et un local autonome) font partie de la catégorie la plus susceptible d'amener la personne vers une dépendance envers les services formels. Pour ce qui est des 11 autres (sept réseaux de support local intégré et quatre à dépendance familiale), bien que bénéficiant d'un réseau leur permettant d'être moins dépendants des services sociaux et de santé, il n'en demeure pas moins qu'ils sont, pour certains, dans une situation de vulnérabilité. 

Malgré le nombre restreint d'observations, il est intéressant de tenter d'expliquer cette distribution.  En premier lieu, le départ assez marqué de la jeune génération de St-Marcel, pour trouver de l'emploi ailleurs, contribue à l'isolement des personnes âgées. En effet, plus de la moitié des personnes âgées (14/25) ont un réseau de support caractérisé par l'absence de la parenté locale, en particulier les enfants (il s'agit des réseaux de support communautaire élargi, individuel restreint et local autonome).  Ensuite, la résidence à long terme dans la région, conjuguée avec un certain degré d'engagement envers les amis, les voisins et la communauté, sont des éléments déterminants dans la présence de réseaux ayant une orientation extra-familiale tels les réseaux de support communautaire élargi et local autonome. Le vieillissement de la population et l'éloignement des enfants (privant ainsi leurs parents d'une source importante d'aide et de support) favorisent la présence de réseaux de support plus susceptibles d'être dépendants envers les services sociaux et de santé formels. Cependant, le réseau naturel d'aide existant au sein de cette communauté est un atout majeur car il offre des sources diversifiées de support permettant à plusieurs personnes âgées de faire face à nombre de leurs besoins.

 Les grandes qualités de la typologie de Wenger permettent de la considérer comme le prototype qui devrait servir d'exemple pour les démarches de recherche analogues. Cependant, cette typologie comporte des faiblesses qui empêchent qu'on puisse l'utiliser, telle quelle dans le contexte québecois. D'abord elle est trop tributaire du contexte culturel d'où elle est issue en mettant beaucoup l'accent sur l'enracinement communautaire, reflétant ainsi la tradition typiquement anglo-saxonne qui accorde beaucoup d'importance à l'entraide de voisinage. Une autre faiblesse importante de l'échelle de Wenger est de ne pas expliciter suffisamment les attentes et valeurs des membres du réseau social qui jouent pourtant un rôle essentiel dans la façon dont on a recours aux ressources de son réseau social. 

Kaufman (1990) par exemple inclut, dans sa grille d'évaluation du réseau social, l'analyse historique de la façon les personnes utilisaient leur réseau dans les moments de crise, afin de pouvoir définir les caractéristiques des styles de comportements d'adaptation avant que les personnes aient des besoins à long-terme. Il analyse également les valeurs et attitudes sous l'angle des sentiments par rapport aux obligations et attentes filiales et familiales et par rapport à  l'expression des besoins de dépendance. Sont aussi analysées les attitudes et perceptions par rapport aux rôles et responsabilités considérées comme appropriées de la part du gouvernement et des services professionnels. La même analyse est faite en ce qui concerne la qualité et l'adéquation de services des Services Publics par rapport aux systèmes informels d'aide. 

La coordination des types de soutiens

La particularité du processus de coordination du soutien est importante qu’elle cible les ressources d'aide naturelle qu'elle cherche à supporter et valoriser dans le processus d'arrimage avec les services professionnels c'est-à-dire et l'aide de proximité du voisinage, la famille étendue les associations, le réseau social. Le rôle de coordination des services et de liaison entre les proches et les voisins qui apportent du support d’une part et personnes qui procurent des services professionnels d’autre part, se situe au centre du travail de l’intervenant. Mais le défi principal de cette tâche de coordination réside dans la capacité de savoir effectuer l'arrimage entre les ressources professionnelles et les ressources naturelles mais aussi de procurer du support régulier afin que le système d'aide mis en place ait une certaine stabilité.  Il faut pouvoir assurer la régularité dans le plus grand respect des modes de faire de l'aide naturelle qui est souvent ponctuelle et irrégulière dans sa nature même.

Une personne âgée en perte d'autonomie a habituellement des besoins multiples auxquels il faut répondre concurremment: 

- Support instrumental lourd et récurrent: hygiène corporelle, soins personnels

= Support instrumental léger et récurrent: entretien domestique, repas

- Isolement social et sécurité: accident, blessure, maladie soudaine

- Support ponctuel et occasionnel : travaux saisonniers, pelleter la neige

- Mobilité, transport : épicerie,rendez-vous

- Adaptation communautaire: budget, remplir formules

- Soins professionnels: santé physique, aide domestique

- Support à la personne-soutien: support moral,  aide matérielle

Le graphique plus bas, donne plusieurs exemples de types d'interventions basées sur les ressources d'aide naturelle selon les types de besoins. Le graphique s'articule autour de deux axes; l'axe vertical représentant le type de besoins et l'axe horizontal les personnes qui peuvent y répondre. Cette grille sert à structurer la réunion d'allocation de services qui cordonne ces activités; elle est préparée avec soin et sera définie plus bas.

 

 

Ainsi, en ce qui concerne les soins personnels, comme donner des bains, les personnes âgées acceptent rarement que cette tâche soit accomplie par d'autres personnes que du personnel professionnel rémunéré. Les membres de la famille ou le troisième secteur, comme les popotes roulantes par exemple, sont les plus appropriées pour le support instrumental léger qui doit se procurer sur une base continue. Quant au problème d'isolement social, les vérifications téléphoniques et les rondes peuvent être effectuées par des voisins lorsque les membres de la famille ne peuvent le faire. En somme, des bénévoles ou des voisins peuvent compenser, en l'absence de la famille, pour la plupart des besoins. Il arrive que toute la communauté se mobilise lorsque des situations de marginalisation extrêmes rendent les problèmes de salubrité très aigus; des familles peuvent alors accepter de parrainer la personne âgée. Les groupes d'entraide sont de plus en plus utilisés pour apporter du support à la personne-soutien. Enfin, en ce qui concerne l'expression des compétences de la personne âgée, il est intéressant de valoriser leur contribution au travers des activités de bénévolat adaptées à leur condition, comme par exemple du travail d'administration ou de correspondance à domicile lorsque leur mobilité est réduite. Ce service rendu à une association communautaire leur permet ainsi de s'inscrire dans un rapport de réciprocité. Il existe des programmes où les enfants d'une école primaire s'occupent des repas des personnes âgées en échange d'une aide pour faire les devoirs scolaires, en après-midi lors que les parents sont encore au travail.

C'est souvent la personne-soutien qui a le problème, dans le sens que c'est elle qui souffre de la situation et qui doit adapter ses besoins aux services centrés sur la personne âgée en perte d'autonomie. Une conséquence fréquente est que lorsqu'elle fait une demande de services on lui répond que c'est le récipiendaire éventuel qui doit appeler lui -même. Ce qui l'oblige à faire pression sur la personne en perte d'autonomie pour qu’il fasse la demande même s’il n'en ressent pas le besoin. Notre modèle de "case management"vise à répondre directement au besoin de répit de la personne-soutien, qui devient alors la cliente-identifiée, que ciblent nos interventions. Ainsi, la rencontre d'allocation qui vise à procurer et coordonner les services a comme objectif de soulager le fardeau de la personne-soutien. On peut penser que les besoins de développement personnel et occupationnel de la personne-soutien puissent être pris en compte, ainsi le support à la recherche d'emploi de la fille de la personne âgée peut faire partie des interventions. La mise sur pied de groupes d'entraide pour personnes-soutien, de plus en plus répandus pour les proches de personnes souffrant de la maladie d'Alzeimer par exemple, fait aussi partie des interventions du case manager. Il peut même arriver que le professionnel doive procéder à une rupture constructive entre la personne-soutien et la personne en besoin, lorsque la situation est trop détériorée.

Lorsque c'est la famille qui a le problème, c'est souvent la discontinuité des soins qui occasionne des manques au niveau des besoins de la personne âgée en plus de la surcharge chez la personne-soutien. Les membres de la famille sont alors inquiets et préoccupés et c'est souvent l'intervention professionnelle qui sert à assurer la continuité et la stabilité de l'aide. La stimulation afin de réactiver les ressources non-utilisées, l'ajout de ressources pour combler les "trous", de même que la coordination de cette aide  constituent les stratégies les plus souvent utilisées. 

 

Parfois c'est la communauté qui a des problèmes dans le sens qu'il y a une préoccupation et des inquiétudes face à une personne âgée qui vit dans des conditions insalubres qui mettent sa santé en danger. Il n'est pas rare que cette personne âgée, marginalisée, n'aie pas de problèmes à vivre dans la malpropreté, avec quinze chats par exemple.  Il faut alors organiser des rencontres de médiation afin que la communauté s'implique activement, ou pour effectuer une forme de jumelage avec un citoyen. 

Rencontres de coordination

Les rencontres de coordination de services ont comme fonction de soulager la personne - soutien, de mobiliser  des ressources inactives, d'en créer sur mesure au besoin et de coordonner les actions de toutes les personnes impliquées. Il arrive souvent qu'une seule réunion suffise pour atteindre les objectifs, car le suivi s'effectue auprès d'un informateur clé afin de s'assurer que les tâches sont accomplies et que toutes les personnes impliquées maintiennent leur motivation. L'objectif de cette réunion est  d'en venir à une entente quant à la répartition des tâches suite à un inventaire approfondi des besoins (autant positifs que négatifs) et des ressources disponibles.

Ainsi, lors d'une de ces tables organisée autour d'une personne âgée en perte sérieuse d'autonomie, tout le monde s'est rapidement rendu compte que tous les soins étaient assumés par l'épouse et qu'elle était sur le point de devenir malade elle-même tellement elle était épuisée. Les services d'une auxiliaire familiale ont donc été consentis à raison de deux fois par semaine, afin   de donner le bain à son mari, préparer un ou deux repas et faire un peu de ménage. Les enfants, demeurant dans un village voisin, ont accepté de se partager des petites tâches, comme aider à faire l'épicerie et autres commissions à tour de rôle afin d'empêcher que la tâche devienne trop lourde pour chacun. Quant aux membres de la famille qui ne demeurent pas à proximité, ils se sont engagés à venir effectuer des travaux saisonniers comme poser les fenêtres doubles, un des fils a vu à s'occuper des rapports d'impôt. Un voisin s'est offert pour pelleter la neige sur le palier, tandis qu'une autre va appeler à tous les matins afin de vérifier si tout va bien. Un bénévole a été recruté pour la popote roulante, certains ajustements ont été faits dans les tâches de l'infirmière, et ainsi de suite. La rencontre a fourni l'occasion à l'infirmière d'inviter l'épouse à venir profiter du groupe d'entraide pour personnes-soutiens de personnes âgées qu'elle avait mis sur pied. Une de ses soeurs a offert son support pour qu'elle joigne son groupe d'artisanat qu'elle avait dû quitter il y a plusieurs années à cause des soins que requérait son mari.

Quant au mari, à qui le professionnel s'adressait avec beaucoup de respect, malgré ses difficultés de communication, il s'est montré très intéressé à faire de l'écoute téléphonique à domicile, pour le compte d'un Centre de crise local.. Ces difficultés étaient dues aux problèmes qu'il avait avec son appareil auditif, comme on a pu l'apprendre lors de cette réunion; ce qui a permis de prendre les mesures requises pour y apporter les corrections nécessaires. Le style d'animation du coordonnateur a servi de modèle pour les personnes présentes sur la façon de traiter la personne âgé et la personne soutien, afin de les valoriser dans leurs intérêts et compétences. Ainsi, un arrangement a été pris avec l'institutrice afin qu'il vienne parler de l'histoire du village à l'école; un chauffeur bénévole s'est offert pour le conduire. De même, le coordonnateur de la réunion traitait les bénévoles, voisins et autres, comme des partenaires à part entière ce qui a donné le ton aux professionnels présents sur le mode d'interaction à établir.

Le graphique plus bas illustre le protocole qui a été utilisé afin de noter la répartition des tâches. Il avait été nécessaire de prévoir que la première partie de cette réunion se fasse uniquement entre les membres de la famille afin de régler des conflits larvés, entre le fils qui demeurait à proximité, et ses frères et soeurs qui vivaient à l'extérieur.  Il jugeait  que le partage des tâches était injuste et que c'est lui qui devait tout faire. 

Le praticien qui met sur pied de telles tables, développe un nouveau rôle professionnel qui consiste à supporter et coordonner les interventions de ceux qui assument la prise en charge, et il remplace sa prise en charge directe par un suivi régulier afin de s'assurer que tout fonctionne bien; plus l'inventaire des besoins et des ressources aura été complet et précis et plus l'évaluation des motivations des personnes impliquées aura été approfondi meilleures seront les chances de succès. L'approche stratégique et l'utilisation de directives s'avère la meilleure stratégie d'intervention pour bien réussir la coordination des services. Ces tables d'allocation de services peuvent être le point de départ d'un plan de services individualisés puisqu'elles ont le double objectif d'identifier précisém Ce qui caractérise le cheminement critique de la personne âgée en perte grandissante d'autonomie, c'est le fait que les membres de la famille et les proches se désistent graduellement à mesure que la situation se détériore pour laisser toute la tâche à la personne-soutien (l'épouse ou la fille, dans le cas d’un homme) qui en vient à souffrir d'épuisement psychologique jusqu'à ce que des incidents précipitants tels l'incontinence ou la confusion mentale la forcent à faire une demande d'aide à domicile ou de placement dans un Centre d'hébergement. Ces situations de surcharge peuvent survenir même dans les familles étendues, car les membres du réseau social ont tendance à se démobiliser, après avoir apporté leur aide lors des situations d'urgence. Le désistement graduel des proches prive la personne-soutien de l'aide au moment où elle en aurait le plus besoin et provoque une surcharge telle que le recours aux services publics devient inévitable.  Les personnes-soutiens sont des femmes, la plupart du temps des mères de famille, des épouses ou des filles, dont la majeure partie du temps et des énergies est consacrée à procurer des soins à un membre de la famille qui est en situation de perte d'autonomie et de dépendance (Guberman et al. 1987).

Étant donné que la personne âgée est la cliente identifiée ciblée par nos services publics, les besoins de la personne-soutien sont négligés. Pourtant la situation de ces  personnes-soutien est très difficile parce-que l'équilibre de la réciprocité est rompu à cause de leur rôle et leur sentiment d'obligation lié à la responsabilité; elles sont donc susceptibles de vivre des problèmes graves de santé physique et mentale. Le modèle de case management qui est proposé ici s'adresse donc en priorité aux besoins de la personne-soutien visant à alléger son fardeau. 

Une tendance de nos services publics est de considérer les personnes âgées comme des personnes diminuées qui sont dans une situation de détérioration progressive qui deviennent récipiendaires passives de services. Or, la réalité est toute autre, puisque la grande majorité des personnes âgées sont autonomes, ne souffrent pas de problèmes de santé de type dégénératif, et meurent soudainement, selon la recherche extensive de Wenger(1992) effectuée dans le pays de Galles. Cette notion distortionnée vient du fait que l'on généralise à l'ensemble des personnes âgées la situation de celles qui reçoivent les services. Cette image est d'ailleurs partagée par le public dans son ensemble qui sait comment il faut se présenter pour pouvoir recevoir des services, comme l'ont clairement démontré Leseman et Chaume (1989). Selon ces chercheures,  les personnes âgées et leur réseau social passent par un processus graduel d'adaptation de leurs besoins aux services offerts, à mesure qu'approche l'étape de demande de service. Ces mêmes chercheures ont mis en évidence, dans leur recherche, que lorsque les interviewers sont perçus comme étant en lien, de près ou de loin, avec les services publics; les personnes âgées et leurs proches présentent d'elles-mêmes une image de personnes en grand besoin, seules et incapables de suffire à la tâche. Si ces interviewers sont, au contraire considérés comme n'appartenant pas aux services mais comme faisant partie d'une recherche universitaire, les personnes offrent une image d'autonomie et parlent d'elles-mêmes tout autant au niveau de leurs besoins que de leurs compétences. La conséquence en est que les besoins et aspirations, tout autant de la personne âgée que de la personne-soutien, sont occultés parce - qu'ils se transforment afin de correspondre aux services déjà offerts.

 De plus, nos services publics, comme le soulignent avec beaucoup de justesse Sullivan et Fisher (1994) sont souvent centrés sur leurs propres services plutôt que sur les clients, ce qui les amène à considérer  les problèmes comme communs à toutes les personnes âgées qu'ils considèrent comme homogènes. Pourtant chaque personne est unique, chaque plan de service se doit donc d'être unique, les personnes âgées ne sont pas homogènes.  Notre modèle de suivi communautaire cherche donc à se tailler sur mesure sur les besoins de la personne-soutien et de la personne âgée, indépendamment des services offerts. De plus, il vise à aider la personne âgée à apporter sa contribution en exprimant ses compétences et en se situant dans un rôle de réciprocité au lieu de récipiendaire passive de services. 

Evaluation des facteurs positifs

Il n'est pas nécessairement facile d'aller à contre-courant et de développer le réflexe d'évaluer les forces des personnes âgées dans un contexte où les protocoles d'évaluation n'ont prévu aucun espace pour évaluer leurs compétences. De plus, un autre obstacle qui empêche l'actualisation de cette philosophie est l'attitude de supériorité du praticien à cause de ses meilleures capacités de jugement. Lorsqu'un professionnel autonome, responsable de sa vie, plein de ressources, créateur, est face à un client faible, limité, vulnérable il est normal qu'il en vienne à penser que son jugement est meilleur que celui du client. Lorsqu'on interview des personnes âgées, elles se plaignent souvent de cette attitude de supériorité du personnel à leur endroit  qui a tendance à les traiter comme des enfants; elles se sentent dépouillées de leur sentiment de dignité. 

Sullivan et Fisher (1994), proposent une nouvelle perspective en remplacement de celle qui conçoit le vieillissement comme une perte progressive d'habiletés physiques et cognitives. Selon eux, le vieillissement peut aussi être défini comme la situation de personnes qui grandissent, changent et apprennent tout en étant en interaction continuelle, malgré les pertes dans les habiletés fonctionnelles, la diminution dans les opportunités sociales et une plus grande susceptibilité aux maladies.Leur modèle de suivi communautaire se fonde sur la notion d'Optimisation sélective avec compensation.

L'optimisation  se définit par les activités et comportements dans lesquels les personnes s'impliquent afin de maximiser les choix qu'elles font c'est-à-dire : reconnaitre les limites et optimiser les forces en développant des nouveaux rôles adaptés aux intérêts et désirs. La compensation se définit par l'utilisation des outils et des activités qui visent à compenser la diminution dans certains domaines de fonctions comportementales et cognitives, et à accroitre la poursuite des activités et buts désirés

Lorsqu'on parle d'autonomie, il ne s'agit pas de l'autonomie d'exécution mais de l'autonomie décisionnelle. On part de la prémisse que la personne est capable de faire des choix informés même si elle est incapable de les réaliser. Notre rôle consiste à supporter ces choix. Une phrase résume la philosophie du modèle : "Que veux-tu et que puis-je faire pour t'aider à l'obtenir ?"

Une des conséquences de ce modèle est d'amener à se centrer sur les intérêts et aspirations et sur les aspects sociaux et spirituels, que la perspective trop médicale de nos services nous amène souvent à négliger. Ainsi la pratique religieuse et les hobbies d'une personne âgée devraient avoir autant d'importance que la prescription des médicaments dont il a besoin.  

Une conséquence de cette philosophie est que les personnes sont vues comme intégrées dans un réseau de relations sociales marquées par des rapports de réciprocité. Les personnes âgées, n'aiment pas avoir un rôle passif et tiennent beaucoup à apporter leur contribution dans leurs rapports quotidiens. Dans certains "neighborhood schemes » britanniques, des citoyens d'un quartier qui voulaient démarrer un projet qui visait à favoriser le maintien des personnes âgées dans leur domicile, avaient très bien compris ce principe. Lors de leur tournée porte-à-porte, ils demandaient systématiquement à tout le monde ce qu'ils pouvaient apporter comme contribution à leur communauté, en même temps qu'ils leur demandaient ce dont ils avaient besoin. Pour eux, les deux évaluations étaient indissociables l'une de l'autre, ce qui leur permettait d'arrimer les ressources avec les besoins de façon naturelle.  

 

CLSC DES PAYS D’EN HAUT

L’expérimentation du CLSC des Pays d’en Haut s’est inspirée des deux projets qui l’ont précédé, soit le projet « Parrainage social » et le Projet de décentralisation du CLSC des Appalaches.

La base du modèle organisationnel développé s’est axé lui aussi sur un fonctionnement par équipes milieu. Ce sont des équipes de base qui regroupent les intervenants au sein d’une équipe multidisciplinaire organisée en fonction des villages desservis qui deviennent la porte d’entrée du CLSC pour la communauté. Après un cheminement amorcé par une recherche évaluative (Godbout, Guay,1989), le CLSC des Pays d’en Haut a pris un virage dans l’organisation de ses services en août 1992. Six équipes milieux ont remplacé les équipes programmes et elles desservent plus de 22 000 habitants. Ces équipes se réunissent hebdomadairement afin d’étudier les nouvelles demandes, discuter de problèmes particuliers, de réviser les prises en charge et assurer la supervision de groupe ; elles ont su développer un fort esprit d’équipe (voir figure 4 plus bas). 

Ce qui caractérise l’expérience du CLSC des Pays d’en Haut, qui est allée beaucoup plus loin que les deux autres expériences, c’est la qualité du soutien qu’il procure aux citoyens et aidants naturels de la communauté. Ainsi, les intervenants ont réussi à tisser un filet de sécurité autour de familles très problématiques. grâce à la collaboration active avec les systèmes informels d'aide de la communauté.  Ayant obtenu la délégation du centre jeunesse, ils sont intervenus auprès de familles monoparentales, d'où on avait dû retirer les enfants parce que la toxicomanie de la mère compromettait leur sécurité. Ainsi, dans plusieurs de ces situations, la mobilisation de la communauté a permis de retourner les enfants à la maison de façon permanente. Autant les membres de la famille élargie, que des aidantes naturelles, que les associations du village ont mis la main à la pâte pour aider les enfants et la mère. Des "placements" temporaires auprès d'aidantes naturelles, la participation régulière au Groupe NA, de l'aide concrète ponctuelle de dépannage (loyer, nourriture, logement), un suivi auprès des enfants, du support émotif de la part d'une aidante ayant eu le même vécu; ont procuré les conditions qui ont favorisé le changement. La contribution des praticiens a surtout constitué en du support régulier auprès du réseau d'entraide de la communauté, au travers d'une grande disponibilité en cas de besoin, d'interventions de crise lors d'épisodes d'overdose , et de rencontres familiales pour mettre les mesures en place et les rencontres de coordination entre les partenaires professionnels impliqués. Plusieurs des personnes impliquées sont d'ailleurs devenues des aidantes naturelles à leur tour, consacrant ainsi leur compétence nouvellement reconquise. 

Trois réalisations, méritent de retenir l'attention; les cafés, le projet des agents de réseau et les comités de concertation locale.

Les cafés

Des lieux de rencontre, sous forme de cafés, ont été ouverts dans les communautés locales afin de permettre à ces femmes et autres personnes isolées socialement et marginalisées de nouer des liens d'amitié et établir des rapports d'entraide. Avec des points d'ancrage dans neuf villages, les cafés visent à offrir des lieux et des services communs pour permettre aux familles de partager leurs expériences, les aider à découvrir et utiliser leurs propres ressources et, en bout de ligne, à mettre leur expérience personnelle au service de la communauté.  L'intervention auprès de ces familles demande un support dans la communauté et touche des problèmes globaux qui vont des dynamiques interpersonnelles aux problèmes de pauvreté et d'isolement. 

Formalisation de l’aide naturelle : le projet d'agents de réseau

A l'image des patchworkers, engagés comme membres de l’équipe des patchwork schemes, et des case managers, recrutés pour le projet Parrainage social et entraide de quartier; le CLSC des Pays d’en Haut a engagé des personnes reconnues comme aidantes naturelles dans leur communauté. Au départ, le CLSC a créé des postes à cet effet, mais la gestion administrative de ces postes d'agents de réseau a été transférée à la Maison de la famille afin de leur assurer un espace d'autonomie Deux rencontres, tenues à un an d'intervalle, ont aidé à mieux définir le rôle d'agent de réseau, selon le terme qu’elles ont elles mêmes choisi pour se nommer. Ces rencontres ont permis d’identifier ce qui caractérise ce modèle et mieux comprendre comment établir une collaboration face au professionnel, et avec les aidants naturels et mieux cerner leur rôle face aux personnes en difficulté et le réseau de soutien.

Le rôle d'agent de réseau s'est défini en prenant exemple sur le modèle développé dans le cadre du projet Entraide de quartier. Il s’est développé au fur et à mesure que les collaborations se sont établies avec les professionnels et que des interventions ont été effectuées, principalement auprès des familles et personnes marginalisées. N’étant pas un professionnel, dont l’intervention est guidée par les connaissances scientifiques; l’agent de réseau apporte une expertise qui découle de ses connaissance expérientielles à partir de son vécu. Il s’agit d’une personne qui a parfois été aidée ellemême et qui a la capacité d'aider dans différents réseaux à l'intérieur de la même communauté.

Les agents de réseau font partie de la communauté, ils sont présents et déjà connus dans leur milieu de vie, ils sont donc plus visibles et accessibles que les professionnels. Déjà intégrés dans leur communauté, ils en connaissent les souscultures; leur contribution consiste à apporter une sensibilité, une connaissance de ces souscultures qui complète l'apport scientifique et technique du professionnel. Pour ces raisons le modèle d’agent de réseau, tout en étant l’aboutissement ultime de la démarche de connaissance ethnographique, la rend en même temps inutile. En effet le professionnel, une fois qu’il a établi la collaboration avec un agent de réseau qui connaît bien les réseaux de sa communauté, a moins besoin de faire la run de lait. La collaboration avec un agent de réseau permet de maximiser la portée des interventions du professionnel en synergie avec un "spécialiste" du milieu qui connaît les réseaux de sa communauté. Un des contributions importantes de leur travail dans la communauté est leur attitude respectueuse desnbrythmes et des valeurs des personnes.

Portrait d'aidants naturels

Il existe un réseau d'aidants naturels, dans les Laurentides au nord de Montréal qui recueillent les "cas désespérés" parmi les jeunes délinquants et toxicomanes. Ces jeunes ont des problèmes d’adaptation importants (incapacité de garder un travail, vol, vandalisme, consommation élevée de drogues et d’alcool). Les aidants naturels sont d'ex-criminels qui se sont "pris en mains" et veulent aider des jeunes afin qu'ils évitent de vivre les difficultés qu'ils ont eux-mêmes connues. Ils ont des petites maisons d'hébergement qui, en plus de leur offrir nourriture et gîte, vise à les amener à stopper leur consommation, les aider à réintégrer le marché du travail, et les amener à vivre de façon autonome en appartement. Des jeunes qui ont eux-mêmes réussi à s'en sortir font également partie de l'équipe d'intervenants. Cette façon d'intervenir s’est avérée très efficace avec ces jeunes, mal desservis par le réseau public, et les objectifs ont été atteints pour la majorité de ces jeunes. Selon les observations d'une étudiante en psychologie qui y a fait un stage d'observation -participante (Bélanger 1994), les méthodes utilisées par ces aidants peuvent paraître brutales et heurtent plusieurs valeurs des praticiens professionnels. Par contre ils se donnent entièrement, sans aucune restriction, et font preuve d'une grande tolérance face à leurs frasques; quels que soient les comportements des jeunes, jamais ils ne vont les rejeter.

Ces aidants naturels ne lésinent pas sur les moyens lorsque les jeunes  n'accomplissent les travaux qu'ils sont tenus de faire. Un jeune refusait de s'occupper des vidanges, qui était pourtant la tâche qu'il devait accomplir à chaque semaine, un de ces aidants naturels nous racontait qu'il avait vidé le sac de vidanges sur le jeune, encore au lit, afin de lui rappeler ce qu'il avait à faire. Par ailleurs, ce même aidant naturel offre une disponibilité presque sans limite aux jeunes, il disait que c'était toujours au milieu de la nuit que les jeunes venaient le réveiller lorsqu'ils avaient besoin de se confier. Une fois, il a même passé la nuit à coté de la porte de la prison où un de ses jeunes venait de se faire incarcérer.

La gestion du frigidaire constitue un problème de fond pour ces aidants naturels; on va reconnaître le "style" de l'aidant naturel à la façon dont il gère l'accès au frigidaire. Dans une maison, il y avaient deux frigidaires dont l'un était fermé à clef. Seul un jeune, qui venait de se trouver un emploi, avait accès à ce frigidaire barré, d'où il prenait la nourriture qu'il s'était payée. Le couple qui tenait cette maison avait choisi de servir de la nourriture de qualité très moyenne aux jeunes afin que le contraste, avec la nourriture de qualité des jeunes "méritants", pousse les autres à se trouver aussi un emploi.

 

Les comités de concertation et d’action locale

Souhaitant se  rapprocher davantage des instances locales, tout en permettant une forme d’évaluation des services offerts par le CLSC, le directeur général du CLSC et un organisateur communautaire ont travaillé à mettre en place plusieurs comités de concertation (un par village) en impliquant le conseil d’administration. Ces comités sont formés de citoyens choisis après une consultation avec les instances locales, les maires et les curés ayant aidé à identifier des personnes  pivots des municipalités desservies par chacune des six équipes. Le mandat de ces comités est d’alimenter le travail des équipes afin de permettre de mieux saisir la spécificité et les problématiques des milieux desservis et d’avoir une rétroaction sur la qualité des services qui y sont offerts. De plus, un des objectifs importants du mandat de ces comités est d’en arriver à une forme d’évaluation des services par des membres de la communauté.

Le passage au fonctionnement par équipe  milieu doit viser à renforcer le rôle des comités de concertation locale et voir à ce que le travail des intervenants soit davantage influencé par la communauté. Rappelons que le but de ces comités est de faire en sorte que les organismes publics soient davantage imputables face aux communautés qu’ils desservent. Le premier objectif de ces comités est d'identifier les besoins locaux et de tenter d'y apporter des éléments de solution; le deuxième est d'offrir à ces communautés la possibilité de critiquer et d'enrichir les services et la programmation du CLSC.

Le  modèle d'intervention du CLSC des Pays d'en Haut est très bien illustré par le travail que l'équipe fait à la soupe populaire.

Faire du bureau à la soupe populaire

La Soupe de Lilly de St-Sauveur, n'a pas été mise sur pied par le CLSC mais par la communauté, ce qui signifie que les intervenants, qui y sont présents, ont dû gagner leur implication en donnant régulièrement un coup de main. D. et ses collègues viennent y dîner régulièrement et en profitent pour établir ou maintenir des contacts, connaître les nouveaux venus, discuter de projets. Tout le monde du coin vient y manger; autant les enfants de l'école primaire d'à coté, que des jeunes couples, des psychiatrisés du groupe d'entraide, des personnes âgées, des clients actuels ou passés, des bénévoles, des aidants etc...  Cette soupe ne ressemble en rien à un ghetto, non seulement parce que toutes les catégories de la population y viennent mais surtout parce - qu'il n'est pas très clair qui est client, ex-client, bénévole ou aidant. En effet ici la philosophie de l'aidé - aidant est mise en application de façon intégrale; on demande à toute personne qu'on a aidée d'aider à son tour. Ce flou en qui concerne l'identité des personnes permet de faire disparaître, et ce dans un processus très dynamique, la barrière entre les "bénéficiaires" et les intervenants.

D. aime beaucoup y "tenir bureau"; il y invite les clients nouveaux ou réguliers, de même que les anciens clients - devenus - aidants. De rencontrer les personnes dans un lieu ouvert dans la communauté au lieu d'un espace fermé dans un CLSC confère un caractère très particulier aux "entrevues". Cela crée une sorte de "flou créateur" extrêmement intéressant; ainsi on élimine le problème des rendez-vous cancellés puisqu'il s'agissait d'une invitation ouverte. La personne qui ne se présente pas à la Soupe peut se reprendre le lendemain sans problème, et l'intervenant est de toutes façons occupé à autre chose. Cette flexibilité apparaît mieux adaptée aux familles multi - problématiques dont la situation de vie rend difficile l'adaptation à notre sous-culture déterminée par notre agenda rempli de rendez-vous à heure fixe dans un local associé au "gouvernement". Il existe aussi un flou quand au moment du début et de la fin de "l'entrevue" qui de toutes façons peut être interrompue à tout moment pour saluer quelqu'un qui arrive.  

Surtout, il n'y a pas ici cet oasis d'intimité qui consacre la rupture entre, d'une part la relation individuelle exclusive, et d'autre part le cycle de réciprocité. En fait, c'est comme si la "grande roue qui tourne" du cycle de réciprocité s'accélérait à la Soupe de Lilly qui devient comme une sorte  "Carousel de l'entraide"; D. la définit comme le lieu privilégié où il effectue des pairages. Ainsi, il me décrit la première personne qu'il me présente comme son expert en alcoolisme et toxicomanie et m'explique, qu'à chaque fois que cela s'avère approprié, il l'appelle pour qu'il vienne s'asseoir avec eux et éventuellement poursuivre seul "l'entrevue" avec la personne qu'il avait invitée à la Soupe.

Pour la première des deux "entrevues", une dame lui présente son nouvel ami qui a des problèmes au niveau revenu et occupationnel. D. m'expliquera plus tard qu'il a donné beaucoup de support à cette femme pour l'aider à se sortir d'une relation avec un conjoint violent. Celle-ci acccepte d'ailleurs la suggestion de D. de faire un peu d'écoute téléphonique à l'Entraide Bénévole; un besoin mentionné lors de la "run de lait" du matin. L'évaluation que fait D. de la situation de l'homme est très rapide parce que centrée sur des propositions de solutions concrètes. A chaque demande, D. propose une solution, à mesure que le refus de chaque proposition est justifié et expliqué par l'homme; l'évaluation devient plus complète et précise. Finalement, puisque l'homme a exprimé le désir de travailler avec les personnes âgées, D. appelle l'auxiliaire familiale afin de vérifier si elle accepterait qu'il l'accompagne lors de ses visites à domicile. D. m'explique que l'auxiliaire y trouve son compte puisqu'elle a de l'aide pour déplacer les bénéficiaires immobilisés au lit. En retour elle peut poursuivre l'évaluation amorcée par D.  afin d'en arriver éventuellement à faire des propositions taillées sur mesure aux besoins et capacités de cet homme. 

C'est un jeune couple qui attend D. à une autre table; la jeune femme est enceinte et, puisqu'elle vient de perdre son emploi, n'arrive plus à payer son loyer et son compte de l'hydro, car le chauffage n'est pas inclus dans le prix du loyer. D., après avoir demandé un numéro de téléphone à quelqu'un assis à une autre table, lui donne le nom d'une personne qui a un loyer moins cher (chauffage inclus). Il m'explique après coup que cette personne, qui demeure juste au-dessus, adore les enfants. Le "plan" d'intervention devient alors très clair; il y a une aidante naturelle qui sera disponible au besoin car la situation de couple laisse entrevoir un risque potentiel d'abus ou de négligence pour l'enfant qui va naitre. La jeune femme sera alors disponible à recevoir de l'aide d'ordre psychologique puisqu'on aura d'abord répondu à son besoin de survie. 

 

Les colloques interactifs

A mesure que nous avancions dans l'expérimentation de l'approche milieu, au travers des projets démonstration, nous entendions parler d'expériences analogues qui, sans l'appeler ainsi, semblaient suivre la même voie et adopter les mêmes principes. Nous avons décidé d'organiser des colloques interactifs, c'est  à dire des tables rondes de douze à quinze experts  terrain qui échangent autour de thèmes qu'ils ont préalablement choisis. Nous voulions en profiter pour valider avec eux notre définition des principes, des notions clés et des modes d'intervention. Nous avons tenu deux de ces colloques, un en 1992 et l'autre en 1995, les compte rendus de ces colloques ont servi de matière première pou définir le, mode d'iontervention..

Le premier colloque

Le premier colloque, tenu en 1992, d'une durée de deux jours a réuni, en plus des personnes associées aux trois projets démonstration, des représentants de huit CLSC qui avaient expérimenté l'approche milieu.

Ce qui nous a frappés c'est la remarquable similitude dans la vision et les façons de faire entre ces expériences parallèles. En effet, toutes ces expériences avaient débuté de la même façon ; les intervenants s'étaient rendus visibles et accessibles auprès de la population locale, sans proposer d'activités spécifiques. Ils s'étaient mis à l'écoute des besoins et des problèmes et y avaient répondu d'une manière informelle, flexible et polyvalente en construisant sur mesure leurs réponses. Cela nous confortait dans l'idée qu'il s'agissait là d'une approche "naturelle" puisqu'elle s'était développée dans des milieux très différents, sans définition des notions clés et sans guide sur la façon d'intervenir. 

 

Le projet St Léonard

Le CLSC St Léonard a expérimenté l'approche milieu, en attitrant une infirmière en périnatalité à un îlot d'habitations multi  ethnique, choisi parce que la population était potentiellement à risque et faisait peu appel au CLSC. Cet ensemble d'habitations comportait vingt et un édifices, avec une population de quinze cents personnes (1500) de vingt six nationalités différentes, dont soixante dix pour cent (70%) parlait une autre langue que le français. L'infirmière s'est rendue visible et accessible et s'est fait connaître au travers des visites post natales, mais surtout en parlant avec les gens et par des rencontres spontanées avec les enfants. Lors d'une de ses visites au Québec, Roger Hadley avait dit, de cette infirmière, qu'elle était une vraie patchworker. Elle racontait qu'au début, elle se faisait cruiserpar les gars du coin et que les enfants lui demandaient ce qu'elle faisait là. Mais, les informations se sont transmises de bouche à oreille et, peu à peu, elle a réussi à s'infiltrer dans les familles et à intervenir dans plusieurs situations pour prévenir et corriger des problématiques d'abus et de négligence. Il y a eu très peu de références au CLSC, car plusieurs de ces situations se sont réglées de façon informelle, sans ouverture de dossier (Demers et Lamarre, 1988).

CLSC des Etchemins

En 1985, à la suite d'un re  découpage de territoire, le CLSC a profité de l'ouverture d'un point de service, visant à rejoindre des villages qui n'avaient jamais eu de services pour implanter l'approche milieu. Des équipes territoires ont été formées pour ce secteur et on a offert à un groupe de 1314 intervenants d'expérimenter une nouvelle approche. Les équipes territoires ont intégré la santé, l'organisation communautaire et les services sociaux. L'approche s'est implantée dans cinq petits villages autour du point de services situé à St Prosper (4,000 habitants). Au début "l'intake" était fait par tous les intervenants qui, dans les villages, répondaient aux demandes sans structure de programmes ou d’activités. Le travail était partagé en équipe selon les forces et compétences de chacun; les membres de l'équipe se donnaient beaucoup de support.

La dimension communautaire a été une des préoccupations constantes du projet et une des réalisations qui a découlé de l'expérimentation a été la mise en place de comités de concertation. Les personnes de ces comités se regroupaient à chaque semaine pour discuter des activités à faire dans le milieu et des demandes de soutien à faire au CLSC.  Les clientèles à risque ont été facilement rejointes. Dans un village, neuf femmes âgées, dites à risques, se sont constitué un groupe de soutien. A la surprise de l'équipe, ces femmes ont démontré une grande capacité à se prendre en charge, à 'intervenir à partir de leurs priorités. Elles ont pu aussi faire des planifications et évaluer les résultats avec les intervenants.

Après trois années de fonctionnement, le projet a connu des difficultés, liées au fait que la moitié du CLSC travaillait d'une façon quand l'autre moitié travaillait toujours en programmes, cela a créé un clivage et des frictions entre intervenants.

La préoccupation majeure des participants touchait à l'opposition entre l'approche milieu et l'approche programme. Plusieurs de ces expériences semblaient démontrer qu'après une période d'expérimentation, c'est l'approche programme qui finissait par l'emporter.

Le deuxième colloque

Le deuxième colloque, tenu au CLSC des Pays d'en Hauten1995, n'a duré qu'une journée et a réuni beaucoup plus de personnes que le premier colloque, de telle sorte qu'il y avaient plus d'observateurs que de participants à la table ronde. En plus des CLSC (dont plusieurs n'étaient pas au premier colloque) il y avaient des participants provenant de ressources communautaires œuvrant en santé mentale et d'établissements de deuxième ligne (Centre de Réadaptation pour déficients mentaux et Centre Jeunesse). 

Le climat était plus optimiste lors de ce colloque mais, les diverses expériences rapportées par les participants, font ressortir un constat majeur: le passage à l'approche  milieu demande des changements majeurs à plusieurs niveaux: il interpelle la gestion, il demande de nouvelles modalités de fonctionnement de travail en équipe, il commande de nouvelles stratégies d'intervention.

 

Le Projet Jeunesse Enfance Famille (JEF), (CJQuébec)

Le projet Jeunesse Enfance Famille JEF est un programme expérimental qui fait partie des services offerts par la CPEJ Québec. Il intègre deux composantes principales, l'intervention familiale de crise, inspirée du programme "Homebuilders" et une maison d'accueil qui permet d'offrir du répit à la famille. Ce programme concrétise un modèle d'intervention intégré car, après l'intervention familiale de crise et l'accueil d'un membre de la famille dans la maison, l'approche consiste en un accompagnement dans le milieu de vie afin de reconnecter les parents avec les ressources du milieu. Ce projet se veut une alternative à l'intervention habituelle qui se caractérise par des interventions professionnelles qui sont des réactions aux comportements impulsifs ou inappropriés des parents, qui sont eux mêmes des réactions aux stresses et aux troubles ou symptômes de leur enfant. C'est comme une réaction en chaîne où une crise en crée une deuxième et ainsi de suite; lorsque le seuil de tolérance est dépassé, il y a acting out des parents qui provoque des troubles de comportements, lesquels amènent une réaction du système (par exemple expulsion de l'école) qui provoque à son tour une autre crise dans la famille. En bout de ligne c'est le placement de l'enfant qui est la solution envisagée à la fois par les parents et les professionnels. Selon Jacques Laforest, initiateur du projet, on devrait s'adresser à la source des problèmes c'est – à - dire à l'incapacité à gérer les stresses et à la souffrance sous jacente au lieu de réagir en procédant au placement. Après avoir procuré du répit, il faut supporter la famille afin de réduire l'intensité des stresses et lui apprendre à les gérer.

Le projet du Goéland

Il s'agit d'une ressource en santé mentale, de la Montérégie, qui offre une gamme complète de services. Il y a six lits, plusieurs appartements supervisés, des case managers et deux travailleurs de rue. Ce qui frappe dans ce projet, en plus de l'esprit très créateur de la directrice, c'est le caractère très hétérogène des membres de l'équipe qui comprend un psychologue d'orientation lacanienne, des éducateurs d'ex animateurs de club Med. Etc.. Lorsque la question s'est posée de l'impossibilité de faire la run de lait sur un aussi grand territoire, nous avons suggéré de le faire pour un village pour quelques années, puis de recommencer pour un autre village, une fois la pénétration du milieu complétée.

D'autres CLSC n'ayant pas participé aux colloques ont expérimenté l'approche milieu, tel le CLSC des Aboiteaux, qui a implanté des équipes villages un peu à la façon du CLSC des Pays d'en haut. Quant au CLSC Côte des Neiges, il a décentralisé ses services au niveau des quartiers.  (Berre, Coté, et Potvin, 1997). L'expérience récente du CLSC de Montréal nord (voir encadré) suscite déjà beaucoup d'intérêt.

L'équipe du quartier du CLSC Montréal nord

En 2001, le CLSC Montréal  Nord a implanté l'approche milieu en constituant une équipe quartier, ciblant le quartier le plus défavorisé de son territoire (et de Montréal). La population de ce quartier est d'un peu plus de 12,000 personnes et les marcheurs, comme les intervenants se désignent eux  mêmes, l'ont subdivisé en trois sous  quartiers. L'équipe est composée de quatre intervenants du CLSC et de quatre intervenants du communautaire. Il s'agit là d'une des innovations de ce projet, que d'intégrer, comme membres à part entière, des intervenants des groupes communautaires qui sont enracinés dans le quartier. De plus, afin d'éviter le clivage avec les reste du CLSC, les collègues sont régulièrement invités à accompagner les marcheurs lors de leur tournée.

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Que reste t’il de l’approche milieu ?

Quelques CLSC, tout en conservant le fonctionnement par programmes pour l’ensemble du CLSC, ont développé soit un grand nombre de points de services (CLSC Aurores boréales) , soit des équipes quartier, dans les communautés locales les plus problématiques (CLSC Montréal nord et Sherbrooke).

Plusieurs équipes de suivi communautaire ont intégré l’approche milieu dans leurs interventions d’accompagnement du malade mental en Chaudières Appalaches, en Gaspésie et en Montérégie, dans un organisme communautaire. Un CRDI, qui œuvre auprès des personnes avec déficience intellectuelle, de même qu’un centre jeunesse ont vu leur pratique influencée par l’approche milieu.

Mais la retombée la plus intéressante, est celle des équipes de « case managers » de la Lombardie en Italie. En effet, suite à sa visite au Québec, un des deux psychiatres italiens, qui a défini le modèle de santé mentale pour la Lombardie, m’a invité à former tous les case managers de la Lombardie. Ce psychiatre avait voulu relancer la réforme de Basaglia, qui m’avait beaucoup influencé, lors de la fondation de Coupe circuit. Et il s’est inspiré de mes projets pour le faire, ça été l’expérience professionnelle la plus gratifiante pour moi.

 


 

 

 

LE MODÈLE DE PRATIQUE TEL QUE DÉVELOPPÉ EN CLSC

Caractéristiques du mode de pratique

Informalisme

Une conséquence importante, qui découle de la plus grande visibilité et accessibilité des intervenants, est une hausse importante des interventions informelles, dites du "tac au tac" sans ouverture de dossier. Cette hausse est évidemment accompagnée par une baisse concomitante du temps consacré aux interventions formelles avec ouverture de dossier. 

Toutes les expériences décrites dans la section précédente ont eu ce type d'impact, surtout pour les équipes exclusivement consacrées au travail milieu. Par exemple, même si elles ont réussi à rejoindre toutes les familles, les deux infirmières en périnatalité du CLSC Saint Léonard, ont pu répondre aux demandes d'aide sans pratiquement faire appel au CLSC. De même, dans le projet Parrainage social et entraide de quartier, on ne tenait pas de dossiers et il n'y a eu aucune référence de la part des intervenants, professionnels et non  professionnels, de la communauté vers le CLSC; ces résultats nous ont causés une certaine surprise car nous avions prévu qu'il y en auraient (Guay, et Chabot, 1990, Guay ,1991, 1994 a et b). Il en est de même pour l'équipe de quartier du CLSC Montréal nord qui n'ouvre pas de dossier et réfère très peu à ses collègues de l'interne.

 Par ailleurs pour les équipes, qui ont intégré les interventions milieu à leurs interventions traditionnelles, c'est jusqu'à 60 % des demandes d'aide qui sont traitées de façon informelle pour les nouvelles clientèles (santé mentale, abus, violence, toxicomanie) et 20 % pour les clientèles traditionnelles ( maintien à domicile, famille enfance (Chabot, Mercier et Guay, 1993 ; Chabot, 1996). 

D'ailleurs, cette forme de pratique informelle est beaucoup plus répandue qu'on serait porté à le penser, comme l'a révélé une enquête (Godbout et Guay, 1989). En fait, dans la plupart des établissements, des intervenants font du travail au noir, c'est à  dire font des interventions du tac au tac sans ouverture de dossiers, ou continuent d'intervenir une fois le dossier fermé.

L'intervention informelle consiste souvent en de l'information, des conseils, de la dédramatisation, une intervention brève (une ou deux rencontres) qui réussissent à régler le problème. Il y a aussi des références, mais pas surtout aux services publics, ou aux organismes communautaires, mais aux systèmes informels d'aide. En effet, à mesure que les intervenants en viennent à bien connaître les réseaux de la communauté, ils peuvent faire des jumelages entre les personnes.

L'intervention informelle débute souvent par une référence informelle. Ainsi le citoyen, qui connaît personnellement l'intervenant et qu'il l'a vu à l'œuvre; va lui demander d'aider un proche, plutôt que d'appeler à l'accueil du CLSC.

Cette forme de pratique exige que l'on repense fondamentalement la tenue de dossier et la compilation des statistiques normalement centrée sur l'intervention - client. Les interventions informelles posent toute la question de la reconnaissance du travail, effectué sur une base informelle dans la communauté, pour une institution du réseau public qui a des comptes à rendre.  Pour favoriser la généralisation du modèle d'intervention, il est nécessaire de tenir compte de ce type d'intervention car souvent, ce qui n'est pas statistiquement visible, tend à être laissé en marge du système.

Nous nous sommes basés sur l'outil de travail principal de l'intervenant, c'est  - à  - dire son agenda, pour développer un système simple et facile d'emploi pour compiler les interventions informelles. Les intervenants cochent, dans des  cases prévues à cet effet, le type de personnes (proche, personne pivot, aidant naturel, associations, voisin etc) et le type d'interventions ( information, référence, sensibilisation, conseil, dédramatisation, normalisation etc…)

Flexibilité et adaptabilité

Étant donné que les besoins et conditions de vie sont dans une situation de perpétuel changement, un réajustement constant de la part des praticiens s'impose.  La pratique de l'approche milieu suppose une grande flexibilité et une grande adaptabilité qui fait contraste avec la rigidité et la compartimentation des bureaucraties des services publics. De plus, le praticien doit nécessairement alléger et débureaucratiser ses modes de pratique s'il veut répondre à ces nouvelles demandes de services.  Chaque situation requérant une réponse unique, il doit faire appel à sa créativité, pour tailler sur mesure la réponse au besoin.

Lorsque des praticiens deviennent plus visibles et accessibles dans la communauté, les gens ont tendance à s'adresser à eux pour des types de problèmes qui correspondent véritablement à leurs besoins quotidiens et à leur situation de vie, mais qui ne correspondent pas aux services spécifiques et spécialisés qui sont offerts dans les programmes auxquels les praticiens sont rattachés. 

Dans plusieurs expériences d'approche milieu en périnatalité, les intervenantes ont dû répondre à des besoins au niveau des loisirs. En effet, c'est ce que demandaient les femmes enceintes de milieu défavorisé, lorsqu'on les interrogeait sur leurs besoins. Les intervenantes ont dû mettre leur programme sur la tablette, afin de répondre aux souhaits de ces femmes.

Dans le projet OLO de Valleyfield, les intervenantes ont été interpellées par la direction, parce qu'elles faisaient des activités de loisir avec la clientèle à risque. Il s'avérait difficile de justifier l'emploi du temps de trois intervenantes qui pratiquaient des activités de loisir avec deux ou trois clientes éventuelles. Il a fallu accepter au départ qu'une certaine période de temps est nécessaire pour établir contact avec ces personnes qui ne viennent jamais chercher les services dont elles auraient besoin. C'est ce qui a été fait dans ce projet, qui est maintenant devenu un modèle pour plusieurs projets innovateurs. 

En se rendant plus visible et accessible en milieu défavorisé, l'intervenant se verra inévitablement confronté à une hausse dans des demandes associées aux conditions de vie.  Toutes les équipes ont été confrontées au dilemme de ne pouvoir agir directement sur les causes des problèmes, c'est  à  dire la pauvreté et la détresse sociale; parce  que cela ne faisait pas partie de leur mandat.

Il est devenu pratique courante, dans plusieurs équipes, d'avoir à sa disposition, une petite caisse pour répondre aux demandes ponctuelles de dépannage. 

Polyvalence

L'approche milieu est fondamentalement généraliste autant au niveau des types d'interventions que des clientèles rejointes. Une des conséquences de l'approche milieu est donc une diminution de la spécialisation au profit de la polyvalence. Cette polyvalence est le reflet de la réalité quotidienne des gens. En effet, les problèmes que vivent les gens sont indissociables de leurs conditions de vie et leurs difficultés sont toutes interreliées; la santé physique, la santé mentale, l'économie, les conditions de logement etc..., ont toutes un effet les unes sur les autres. Les réseaux sociaux sont interconnectés, la population n'est pas divisée en groupes d'âge, comme le sont souvent nos programmes, ce qui implique qu'il faut pouvoir être capable de s'adresser à tous les usagers quel que soit leur âge ou leur problème (Guay, Chabot, 1990; Chabot 1996). 

Par exemple, une infirmière qui avait terminé sa visite post natale, s'est fait demander par la mère d'examiner son père, qui vivait avec elle. L'argumentation de l'infirmière, à l'effet qu'elle n'était spécialisée pour le travail auprès des personnes âgées, importait peu aux membres de la famille qui avaient confiance en elle.

Concomitant à la baisse de leurs interventions individuelles directes, les intervenants vont jouer des rôles d'accompagnateur, de médiateur, de défenseur des droits, etc. Lorsque l'approche milieu est bien installée c'est toute l'équipe qui est polyvalente; comme l'a démontré l'expérience du CLSC des pays d'en haut, la polyvalence ne se vit pas au niveau de chaque praticien individuel, mais au niveau de l’équipe toute entière.

Une réponse appropriée aux besoins des clients rend nécessaire une synergie entre la pratique polyvalente de la première ligne et les services plus spécialisés de deuxième ligne. De nombreuses expériences ont mis en évidence qu'il ne faut pas décentraliser les services spécialisés, sous peine de perdre la masse critique nécessaire. Mais il est essentiel que les services spécialisés soient facilement  accessibles, la décentralisation des services au niveau de la communauté locale ne sera efficace que dans la mesure où il existe une intégration des interventions à l'interne, de telle sorte que les interventions spécialisées ne se fassent pas en silos, mais soient ouvertes aux collègues de première ligne. De même le soutien des intervenants de deuxième ligne doit être facilement accessible aux équipes de première ligne.

Éclatement de la notion de client identifié

Les personnes qui approchent les intervenants, dans la communauté, sont très souvent des proches des personnes qui ont des comportements problématiques, plutôt que la personne habituellement définie comme cliente identifiée. Ce sont les gens du voisinage, la famille, les amis, qui vont rencontrer l'intervenant plus présent dans la communauté; les premières cibles des interventions professionnelles deviennent donc les personnes qui font partie de l'environnement social du client identifié. Souvent, l'approche milieu rejoint les proches qui souffrent des comportements problématiques de personnes qui sont elles - mêmes peu intéressées à recevoir des services par exemple, ce ne sont pas les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie qui contactent les intervenants dans la communauté, mais leurs proches (parent, fratrie, conjoint ami).

Au départ, ce sont les personnes qui souffrent le plus de la situation, qui deviennent les cibles privilégiées du professionnel. Ainsi, les personnes  soutien (ou proches soignant) sont les véritables clients du professionnel, qui met en place des mesures pour leur procurer du soutien. Ensuite, d'autres personnes de l'entourage social, qui sont affectées ou préoccupées, comme la famille, les amis, les gens du voisinage, vont faire une demande d'aide. C'est souvent en fin de processus que les proches réussissent à motiver et mobiliser la personne qui a les comportements problématiques. 

Cela implique que l'établissement accepte d'élargir la diversité des personnes susceptibles de recevoir des services directs et de soutenir une révision de la tenue de dossier. Un des impacts de la pratique de l'approche milieu est d'amener certains établissements publics (comme les CLSC) à remettre en question la pertinence de l'exigence faite au client identifié de se présenter lui - même pour avoir droit à des services. Cette règle, directement importée du bureau privé, a comme effet de priver les proches, souffrants et en malaise, du soutien dont ils auraient besoin.

Services directs remplacés par des interventions de soutien

L'éclatement de la notion de client identifié implique donc qu'une bonne proportion des activités de prise en charge professionnelle est remplacée par des activités de soutien auprès des personnes du réseau social. Les expériences nous démontrent que la proportion d'interventions, sous forme de services directs auprès des clients identifiés, passe de 100% à 30%  40 % pour être remplacées par des interventions de soutien auprès des personnes de l'entourage social.

L'intervenant professionnel doit donc transformer profondément la façon dont il distribue son expertise. Au lieu de la diffuser au travers d'une intervention directe, il doit la diffuser sous forme de transmission de connaissances, de coachingaux proches qui sont les intervenants principaux.  

De même, tout le processus d'évaluation de la demande change, les intervenants modifient leur façon d'analyser la demande afin de tenir compte du contexte de l'intervention. L'analyse du problème est forcément plus globale et amène l'intervenant à adopter une perspective communautaire, il doit apprendre à penser réseau.

L'entraide entre clients

Le recours à l'entraide est une forme de pratique que l'on retrouve presque toujours dans les équipes qui pratiquent l'approche milieu. L'entraide entre usagers peut prendre la forme de groupes d'entraide, réunissant des usagers qui vivent des problématiques semblables. Mais ce qui caractérise les équipes qui ont implanté l'approche milieu, c'est que le recours à l'entraide est un principe qui oriente toutes les interventions auprès des usagers; c'est surtout sous la forme de jumelages entraidants que se pratique l'entraide, plutôt que sous la forme plus classique des groupes d’entraide. 

Les jumelages entraidants entre clients est une approche plus flexible que la création de groupes d’entraide. Les tentatives de mettre sur pied des groupes d’entraide échouent souvent, soit parce que les rencontres ne sont pas aussi nombreuses que les intervenants l’auraient souhaité soit que la composition du groupe varie d’une fois à l’autre.  L’entraide est une réalité fluide et changeante et elle ne s’exprime pas toujours à l’intérieur de groupes organisés. Par exemple certains des participants aux groupes d’entraide tissent des liens et se rencontrent de façon informelle à l’extérieur des groupes. Cette tendance à la formalisation peut être une expression de notre culture nord – américaine ; en Italie, par exemple, l’entraide est plus informelle elle fait partie du mode de vie. Les travailleurs sociaux italiens, à qui je donnais une formation, s’étaient montrés très surpris face au constat qu’en Amérique, l’entraide se pratique sous forme de groupes. Cela rappelle l’étude d’une sociologue sur les réseaux sociaux de la ville de Québec. Son étude avait démontré que, dans un quartier de classe moyenne, que les résidents qui se donnaient peu de soutien entre voisins, s’entraidaient beaucoup lorsqu’ils se regroupaient de façon formelle.

Lorsque les usagers avaient choisi le nom « Archipel d’entraide », ouvert dans le cade du projet « Parrainage social et entraide de quartier » c’était justement pour offrir une alternative à l’entrevue individuelle. Comme l’avait dit leur porte - parole  « Ici nous ne procurons  pas de services  mais nous offrons de l’entraide ». Ils avaient même instauré une règle de fonctionnement qui interdisait les conversations un à un ; ils se surveillaient et se réprimandaient si l’un d’entre eux était témoin que quelqu’un « Faisait de l’individuel ». On retrouvait la même philosophie à la soupe de Saint sauveur, où toute l'équipe territoire du CLSC considérait tout le monde comme des aidants, actuels ou potentiels. Un collègue, qui avait été impliqué dans des projets très novateurs dans sa province d’Ontario, me racontait qu’une interdiction semblable avait été instaurée dans un des ces projets.

-       Il y a une anecdote fascinante que l’on raconte au sujet de L’abbé Pierre, figure mythique qui a consacré sa vie aux itinérants de la ville de Paris. Un jour un homme aurait approché l’abbé Pierre pour lui parler, seul à seul, il était dépressif et voulait s’enlever la vie. L’abbé Pierre lui aurait répondu «  Je n’ai pas le temps de t’écouter, je suis trop occupé mais va voir cet homme là - bas, celui avec un gilet rouge ; lui aussi a des idées suicidaires, peut – être que vous allez pouvoir vous aider l’un l’autre ».

Faut - il pour autant abolir l’entretien particulier comme méthode exclusive pour procurer de l’aide ? Même s’il est nécessaire de contester l’utilité de la psychothérapie comme seule méthode valable, pour les personnes avec des problèmes sévères en santé mentale ; il est loisible de penser qu’elle n’est pas toujours efficace et ne fait souvent que maintenir le statu quo. Par contre, l’entraide ne doit pas être conçue comme devant remplacer la psychothérapie individuelle, mais comme complémentaire à l’aide professionnelle. Obliger les clients à recevoir une intervention de type entraide au lieu de l’aide individuelle est contre l’éthique professionnelle; les clients n’ont pas à s’adapter à nos méthodes, mais que c’est à nous qu’il revient d’adapter nos méthodes aux besoins des clients.

En ce sens, dans la dernière version du protocole d’évaluation, est inclus « Le pacte d’entraide », c’est – à  - dire que le client s’engage à aider un autre client quand il s’en sentira capable et désireux de le faire. Une intervenante résume bien de quelle façon elle présente le pacte d’entraide à une de ses clientes : » Maintenant je vais prendre soin de toi parce que tu en as besoin et tu y as droit mais plus tard, quand tu t’en sentiras capable je vais te demander d’en aider une autre qui vit des difficultés semblables aux tiennes ».  Recourir aux capacités d’aide des clients repose sur la croyance qu’ils possèdent les compétences pour le faire ; ces compétences vont pouvoir s’exprimer lorsque leur situation personnelle se sera améliorée. 

Ces nouvelles formes d’interventions heurtent de front la tradition solidement ancrée de l’entretien individuel entre une personne qui reçoit l’aide et le professionnel qui la procure.

La perspective de Frank Riessman est très inspirante, il a été initiateur du « Helper therapy principle », principe selon lequel on s’aide soi - même en aidant les autres. Il propose un nouveau paradigme qui pourrait révolutionner nos services publics, en considérant tout client comme un aidant potentiel. Cela signifie que toute personne qui reçoit de l’aide peut se transformer en personne qui en donne, à travers le jumelage entre clients. Dans cette perspective on peut concevoir que la charge de cas (caseload) de chaque intervenant pourrait être vue comme un réservoir de ressources d’aide potentielles. Une nouvelle habileté s’ajoute alors aux compétences cliniques, soit la capacité d’entremetteur (euse) qui permettait d’évaluer les affinités potentielles entre les personnes (cf Texte Entraide comme complément à l’aide professionnelle).

Concevoir les usagers comme des aidants a comme effet d'accroître les ressources d'aide non seulement quantitativement mais aussi qualitativement. La qualité accrue de l'aide découle du type de compréhension unique que possèdent ces personnes qui représentent des modèles très crédibles à cause de leur expérience. L'encadré plus bas résume comment la logique d'entraide peut s'actualiser entre malades mentaux.

En les plaçant dans un rôle d'aidant face à une personne qui souffre de difficultés semblables, les clients sont amenés à prendre conscience de leurs compétences personnelles. Cette façon de faire peut même devenir un puissant outil de changement personnel pour le client puisqu'il “ se corrige ” en aidant quelqu'un d'autre “ à se corriger ”. De plus, les expériences de compétence, vécues dans un rôle d'aidants, peuvent amener les personnes à reprendre le contrôle sur leur vie et à surmonter leurs situations d'impuissance et d'aliénation. En effet, l'expérience d'entraide peut conduire à l'appropriation sociale ou à la maîtrise sur son destin (empowerment) parce qu'elle procure un sentiment de contrôle pour corriger la situation.

Logique de service

Exemple; soutien en situation de crise : Un centre de crise a été mis sur pied et les personnes appellent pour recevoir de l'aide en tant que clientes.

Exemple; le besoin d'emploi en milieu soutenant : le personnel met sur pied et dirige un service d’aide à l’emploi où les personnes sont traitées en tant que clientes et non en tant qu’employées.

Logique d'entraide

Exemple; soutien en situation de crise, les membres se réunissent et traitent de sujets importants pour eux. Ils explorent les façons de s'entraider en situation de crise: mettre sur pied un groupe d'entraide, échanger les numéros de téléphone, se rencontrer seul à seul. Les professionnels s’occupent  non pas de fournir des services, mais de faciliter le processus. Les membres reconnaissent que leur expérience leur permet d’aider les autres. 

Exemple; le besoin d'emploi en milieu soutenant : les personnes se rencontrent en tant que partenaires et décident de créer une entreprise. Ils peuvent rechercher l'aide de personnes ayant l'expérience en affaires, comme conseillers ou comme membres du conseil d'administration. Si un membre assume un rôle de gestion, il est imputable aux autres membres. Personne n'est traité comme un client ou un cas, tous sont des collègues de travail. Tous travaillent ensemble afin que l'entreprise ait du succès, et chacun a son mot à dire.

(Tiré de Trainor, 1997),

Accroissement de la compétence professionnelle

Une des conséquences qui découle du contact quotidien avec le citoyen et les aidants naturels est une pression, qui s'exerce sur le professionnel, pour qu'il développe encore plus son expertise et ses compétences cliniques. Plus les professionnels se rapprochent du milieu, plus ils doivent être compétents comme cliniciens, car c'est ce que les gens attendent de lui. C'est son expertise clinique que le professionnel a à offrir dans un rapport d'échange avec les proches et les citoyens; car sur elle que repose sa légitimité face à la société. 

En même temps, le professionnel doit opérer un changement d'attitude, en ce qui concerne son sentiment de supériorité liée à sa compétence professionnelle. Au fil des contacts avec des collaborateurs non professionnels, il doit en venir à apprécier la grande utilité et pertinence de leurs interventions tout en développant une définition plus claire des contributions propres à chacun. L'échange de cette expertise clinique se fait dans un rapport de partenariat plutôt que de supériorité. La cohabitation du savoir professionnel avec le savoir expérientiel et le savoir populaire (voir encadré plus bas) a comme conséquence que la contribution spécifique du professionnel est plus spécifique et son efficacité est donc  optimisée.

Le savoir professionnel 

Le savoir professionnel se base sur le bagage de connaissances scientifiques qui fournit un cadre théorique et des orientations pour l'évaluation et l'intervention. Il est aussi issu de l'expérience qui a été développée et qui se transmet par supervision ou au moyen de guides d'intervention. Les approches peuvent utiliser la psychothérapie, mais le plus souvent le counseling et la modification du comportement pour amener une meilleure adaptation. 

Les sciences sociales prennent en compte l’influence du contexte social, en plus des explications intrapsychiques pour expliquer les difficultés d'adaptation des personnes marginalisées. Elles nous fournissent des explications qui aident à comprendre à quel point le stress chronique lié aux conditions de vie (pauvreté, marginalisation, détresse sociale) influent sur la nature et l'intensité des problèmes.

Le savoir expérientiel 

C’est le savoir, issu de l’expérience vécue, par les personnes ou leurs proches, qui ont souffert de problèmes. Cette connaissance phénoménologique est tout aussi importante que la connaissance objective et rationnelle, les personnes connaissent mieux que quiconque la réalité quotidienne d'avoir à vivre des difficultés. Les pratiques d’entraide sont une approche dérivée de ce type de connaissances.

Le savoir populaire.

Il s’agit d’un savoir basé sur le sens commun et déterminé par les croyances et attitudes liées à la sous culture. Même s’il peut être considéré comme inférieur au savoir professionnel, il est congruent avec la façon de voir des gens qui partagent un même milieu de vie, avec lequel on  doit de toutes façons collaborer lorsqu’on travaille à l’intégration communautaire; c'est le savoir qui guide les aidants naturels, en plus du savoir expérientiel tiré de leurs expériences de vie. Le savoir populaire se traduit par des attitudes qui se situent sur un continuum qui va du préjugé à la tolérance.

 

Collaboration avec les aidants naturels

La prise de contact avec les systèmes informels d'aide conduit inévitablement à des collaborations avec des aidants naturels, qu'il ne faut pas confondre avec les personnes soutien (voir encadré ci  bas). 

Ne pas confondre l’aidant naturel avec le proche soignant

La notion d'aidant naturel, introduite au Québec dans les années '80 (Guay, 1984) désigne un citoyen ou une citoyenne qui aide naturellement et spontanément d’autres personnes dans son milieu de vie et semble posséder des capacités naturelles pour le faire. Son intervention est basée sur le gros bon sens et la spontanéité et se fonde sur sa propre expérience, c'est  à dire les stratégies qui lui ont permis de faire aux difficultés. Les aidants naturels font rarement partie de groupes structurés, et sont motivés par le besoin de rendre l'aide qu'ils ont eux  = mêmes reçue.

Le terme d'aidant naturel, s'est beaucoup diffusé et répandu adoptant souvent une signification différente de celle définie plus haut. Dans plusieurs milieux, la notion d'aidante naturelle est maintenant employée pour désigner une personne soutien (ou un proche soignant), c'est  à dire une personne dont la majeure partie des énergies est employée à prendre soin d'un membre de la famille; par exemple un mère d'un enfant poly  handicappé ou l'épouse d'une personne âgée souffrant d'Alzeimer. Dans l'approche milieu, le terme aidant naturel n'est pas utilisé dans le sens de personne soutien. 

 

La première forme de collaboration se fait souvent en choisissant le milieu de vie comme lieu de dispensation des services. L'intervenant doit alors négocier avec l'association le droit d'utilisation du local; les personnes doivent en tirer un avantage, par exemple;

-    L'équipe des Pays d'en haut qui intervient à la soupe populaire.

-    L'infirmière qui choisit de faire des pansements dans un petit local, situé en arrière d'un bar fréquenté par la clientèle.

La collaboration peut se faire de façon informelle, au cas par cas, où les intervenants professionnels et des aidants naturels forment équipe, et se concertent pour solutionner ensemble une situation, par exemple;

-    Le case manager qui soutient l'employée d'un casse croûte à propos d'un malade mental qui va régulièrement y prendre ses repas

La collaboration peut se formaliser et prendre la forme d'une participation régulière au travail de l'équipe de professionnels, par exemple;

-    Le projet Parrainage social et entraide de quartier a engagé quatre accompagnateurs, aidants naturels résidents du quartier, pour accompagner des personnes toxicomanes et avec maladie mentale, très résistantes au traitement

-    Le projet des agents de réseau du CLSC des Pays d'en Haut qui a permis de recruter des aidantes naturelles pour chacune des équipes  territoire, lesquelles participent activement au travail des équipes.. 

-    L'équipe MRC du Lac Etchemin qui a intégré, dans son fonctionnement et ses discussions de cas, les membres des groupes d'entraide pour malades mentaux et parents.

Défis pour les intervenants

Cette forme de pratique comporte plusieurs défis pour les intervenants. Il n'est pas rare que les intervenants, à qui on demande de prendre contact de façon informelle avec les résidents de la communauté locale, vivent des malaises et de l'inconfort. 

Une plus grande familiarité avec les citoyens et les usagers

La plus grande proximité des intervenants avec les citoyens et les usagers actuels et potentiels, établit une plus grande familiarité dans la relation qui s'établit. C'est tout le rapport usager intervenant qui change, il devient plus personnalisé, plus chaleureux. 

Cette plus grande familiarité peut conduire à un désir de réciprocité et, conséquemment, à un envahissement possible de la vie privée des professionnels qui les oblige à définir la frontière qu'ils veulent maintenir entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Certains intervenants qui se sentaient inconfortables ont réussi à négocier certaines règles informelles d'accessibilité hors des heures de travail. La plus grande familiarité amène à faire la différence entre l'amitié et la compassion qui fait partie de l'intervention professionnelle. Dans une recherche effectuée dans un C.L.S.C. rural du Québec (Godbout et Guay 1988), les employés, même s'ils décrivent leur relation professionnelle comme étant amicale, y mettent quand même une limite et cette limite est très claire, très explicite:  la non réciprocité dans les confidences intimes. 

Une relation amicale c'est : connaître les enfants de son ami, c'est aller au salon funéraire, au mariage.

Redéfinition du rôle professionnel  

Le premier impact, qu'a sur les intervenants, le fait de sortir du bureau et de se rendre plus visibles et accessibles, est la nécessité de redéfinir leur rôle. Plusieurs intervenants se demandent pourquoi ils doivent faire ces sorties et établir ces contacts; d'autant plus qu'ils n'en voient pas l'utilité immédiate pour leurs clients. De plus, autant dans les patches, qu'au CLSC St Léonard, qu'à Montréal nord, les résidents eux  mêmes demandent aux intervenants ce qu'ils font là.

Un membre du Conseil d'Administration du CLSC téléphone au directeur pour se plaindre qu'une infirmière jase avec des madames l'après midi, au lieu de soigner le monde. 

Les intervenants doivent apprendre qu'il peut être utile de recueillir des informations, qui seront peut  être utiles dans le futur.

Lorsque les citoyens s'adressent aux praticiens pour des problèmes auxquels ils ne peuvent répondre, c'est la définition même de leur mandat qui est remise en question. Les intervenants se sentent souvent démunis, en l'absence de frontière bien définie et du filet de sécurité que constitue le cadre de leur programme, ils se sentent exposés et vulnérables tout en s'interrogeant sur l'utilité d'une telle démarche. En fait, le rôle du professionnel ne change pas, soit celui de répondre aux besoins des usagers; c'est la façon de le faire qui change. Les professionnels expliquent aux citoyens qu'ils pensent pouvoir mieux remplir leur mandat s'ils se rapprochent d'eux et s'ils travaillent en concertation avec des partenaires qui ont d'autres mandats.

La prise de conscience que les services touchent les symptômes ou les conséquences de la pauvreté, plutôt que les causes, peut provoquer une profonde remise en question quant au sens même du travail professionnel. En effet, l'intervenant peut en venir à penser qu'il se nourrit à même la  misère du monde, puisque son salaire et son emploi en dépendent.

Le danger de l'utilitarisme

Le principal danger est évidemment celui d'exploitation des ressources d'aide naturelle. Si on utilise la métaphore écologique on pourrait comparer l'établissement public à une usine qui exploite les ressources naturelles jusqu'à épuisement. La pratique des intervenants, qui veulent se rapprocher des citoyens, sera fortement déterminée par le type de rapport qu'entretient l'institution avec la communauté autant au niveau des ressources formelles qu'au niveau de ressources informelles

Au niveau des ressources informelles d'aide, on a souvent constaté que les intervenants en viennent à épuiser et "brûler" les aidants naturels (Brousseau et al. 1986). Souvent, ils déversent le trop plein de leur charge de cas en les associant trop rapidement dans une collaboration hâtive qui ne respecte pas leur réalité parce  qu'ils n'ont pas pris le temps de bien connaître ces ressources informelles.

Les agentes de réseau du CLSC des pays d'en haut ont appris à se méfier lorsque les professionnels les complimentent trop. Quand ils se mettent à vous trouver trop bonne, méfiez vous, ils vont vous demander d'intervenir avec leurs cas les plus difficiles.

La collaboration avec les réseaux d'entraide de voisinage pose des défis particuliers au mode de pratique professionnel. Le partage de responsabilité que les professionnels réalisent avec ces réseaux d'entraide doit éviter le danger de socialisation subtile aux normes et standards professionnels, à cause du pouvoir d’attraction des façons de voir des professionnels qui détiennent la légitimité. Il faut aussi éviter la duplication ou la récupération des réseaux naturels qui existent déjà. Seule une volonté très ferme de renverser le déséquilibre va pouvoir procurer un espace de parole et d’agir suffisant pour permettre au vocabulaire et aux façons de voir des aidants naturels d’exercer une influence importante en complémentarité de l’expertise professionnelle. Les professionnels, après avoir bien compris ces réseaux, doivent adopter un rôle de personne ressource qui supporte ce qui se fait déjà.

En effet, ces systèmes informels existent dans une sorte d'écologie sociale qui peut être facilement perturbée par l'intervention professionnelle. Le soutien professionnel face à l'aide naturelle se doit d'être très respectueux des façons de faire des personnes, en ce sens qu'il est non intrusif et ne cherche pas à les changer ou à les influencer dans le sens des valeurs professionnelles. A mesure qu'il apprend à partager la responsabilité de la prise en charge avec les aidants naturels, ceux - ci deviennent les cibles prioritaires du professionnel qui les soutient activement afin d'éviter l'épuisement psychologique. Les institutions et professionnels qui veulent dynamiser ou encourager l'actualisation de cette entraide potentielle ou encore lui assurer une certaine stabilité ou une forme de formalisation, doivent le faire dans une attitude de très grand respect. 

La logique des réseaux n’en est pas une de services, mais une logique du lien. C’est la relation elle - même qui soude le rapport, non pas le type de soutien qui est apporté. Ainsi lorsque l’on sollicite la collaboration des parents, il faut se prémunir du réflexe de les considérer comme des co – intervenants.

Dans les situations de proches soignants,  l’objectif premier de l’intervention de réseau est de procurer du soutien au proche soignant. Plutôt que d’avoir recours aux ressources du réseau social, les gestionnaires devraient au contraire augmenter le nombre d’auxiliaires familiales, afin d’alléger la tâche de la personne (souvent mère ou conjointe). Le nombre  d’auxiliaires familiales par 1,000 de personnes de 65 ans est 4 à 5 fois plus élevé en Grande Bretagne qu’au Québec.

En somme, ainsi que l'ont démontré nos recherches antérieures (Godbout et Guay 1989), le partage de responsabilité réussit lorsqu'il est basé sur un véritable partenariat dans lequel les citoyens sont partie prenante à part entière, autant pour la définition que pour l'actualisation de la complémentarité. 

Choc de valeurs

La prise de contact avec les réseaux d'entraide des communautés amène un choc de sous cultures; les aidants naturels transportent avec eux les valeurs issues de leur milieu d'appartenance et de leur expérience de vie (Leduc et Beauregard, 1989). Par exemple, les aidants naturels, ex détenus, ont parfois des façons de voir la vie qui sont contraires à celles des intervenants. Leur attitude face à certains comportements criminels est très dérangeante pour des professionnels qui ont un mandat judiciaire; ils sont souvent incapables, au moment d'aider quelqu'un, de faire abstraction de leurs propres valeurs. (Bélanger, 1994).

Il en est de même lorsque le praticien  intervient dans le milieu de vie  de populations défavorisées, il est inévitablement confronté à des valeurs différentes et à des façons de se conduire qui peuvent être contraires aux siennes.  L'approche milieu exige donc que le praticien passe par un processus de remise en question des valeurs liées à sa classe sociale afin de pouvoir parvenir à une acceptation et un respect mutuels. Des infirmières en périnatalité, qui ont favorisé un plus grand pouvoir d’agir chez les mères monoparentales de milieu très défavorisé, ont été fortement ébranlées par l’expérience. Elles disent avoir été profondément remises en question dans leurs valeurs, leurs façons de voir la vie, s’interrogeant même sur la pertinence et l’utilité de leurs services (Leduc et Beauregard, 1989). Dans un projet, dans lequel on a demandé aux psychiatrisés eux - mêmes de définir les services qui leur sont adressés, la remise en question a été assez brutale et douloureuse pour les praticiens et gestionnaires (Church, 1996). Le ton très émotif des revendications des psychiatrisés a été vécu comme un manque de bonnes manières de la part des gestionnaires dont le discours rationnel avait peu de sens pour les psychiatrisés.

Dans certaines régions la population est scindée en deux; ceux qui sont sortis de leur milieu pour faire des études et sont revenus avec un emploi au gouvernement. Les autres ne sont pas sortis de la communauté locale, n'ont pas d'emploi et sont les récipiendaires des services de ceux qui sont allés s'instruire.

La frontière de la confidentialité  

La confidentialité est souvent évoquée par les professionnels comme un obstacle majeur à la pratique des interventions de réseau, en particulier lorsque des aidants naturels sont associés aux professionnels. L'expérience a démontré que la frontière de la confidentialité ne cause vraiment pas de problème quand l'équipe a des liens étroits avec la communauté De toutes façons, les gens de la communauté en savent souvent plus que nous. La confidentialité n'appartient pas au professionnel mais à l'usager, qui n'est pas une unité isolée de son entourage. Par ailleurs le bris de confidentialité, par les citoyens, s'est avéré très utile dans des situations d'abus contre les enfants ou de violence conjugale. Les intervenants doivent apprendre à «négocier» la confidentialité, à partager les zones de confidences pour orienter le plan d’intervention avec le client et son réseau de soutien. Toute la question d’ouverture vers le réseau doit être expliquée avec transparence aux usagers. De toutes façons, le praticien va avoir le réflexe de ne pas partager les confidences d'un usager, lors d'une discussion de cas, si elles ne sont pas pertinentes et utiles.

Puisque deux groupes communautaires (les groupes d'entraide pour personnes et  pour parents) font partie de l'équipe MRC du Lac Etchemins, ils sont identifiés sur la formule de consentement, comme des partenaires avec lesquels les informations seront partagées, aux cotés du CLSC et de l'hôpital.  

Choix déchirant pour les gestionnaires

Lorsqu'un gestionnaire fait le choix de libérer des intervenants, une journée semaine, pour qu'ils se rendent visibles, accessibles et établissent des contacts avec le milieu, il court le risque d'empirer le problème des listes d'attente. 

Il est placé devant le choix suivant :

Combien de personnes en difficulté sommes - nous prêts à sacrifier, en les privant de services, dont ils ont besoin de façon urgente, pour pouvoir développer l'approche milieu ? 

La parabole du pêcheur illustre bien le dilemme ;

Un pêcheur taquinait tranquillement le poisson sur le bord de la rivière, lorsque son attention fut attirée par les cris d'une personne emportée par le courant, qui appelait au secours. Comme il était un assez bon nageur, il se précipita à l'eau et réussit après quelques efforts à ramener la personne sur la rive, la sauvant ainsi d'une noyade certaine. Il s'était à peine rassis, son linge encore mouillé, qu'une autre personne passa devant lui en appelant à l'aide, il se jeta à nouveau à l'eau et réussit à sauver le malheureux; puis la scène se répéta à plusieurs reprises à quelques minutes d'intervalle. Il devint assez évident pour le pauvre pêcheur à bout de souffle  que quelqu'un jetait les gens à l'eau en haut de la rivière ce qui le place devant un dilemme assez terrible. "Combien de personnes vont se noyer si je monte en haut de la rivière pour empêcher que l'on jette les personnes à l'eau ?"

Le partage de la responsabilité

Le partage de la responsabilité présuppose que l'intervention est centrée sur les capacités et les compétences des usagers, des proches et des partenaires du communautaire; il se réalise à plusieurs niveaux: 

Il se traduit par une exigence de la part du professionnel que le client s'implique très activement dans le processus de son traitement ou de sa réinsertion, le client doit en être le maître d'œuvre. 

Le recours à l'entraide entre usagers est une façon privilégiée de mettre les compétences des usagers en évidence; c'est une forme de pratique qui s'est généralisée dans la plupart des équipes qui ont adopté l'approche milieu.

Le professionnel crée un espace de parole pour les usagers et leurs proches et favorise leur pouvoir d'agir (empowerment).

Le partage de responsabilité, avec les groupes communautaires et les aidants naturels, se traduit par une concertation où l'établissement met à contribution ses ressources afin de soutenir les partenaires de la communauté qui souhaitent assumer une partie de la responsabilité.

PARABOLE DU PECHEUR CORRIGÉE

Le principe de partage de responsabilité amène le pêcheur à demander l'aide des gens qu'il rencontre, afin que tous se partagent les tâches selon leurs compétences propres. Pendant que le plus athlétique court vers le haut de la rivière pour arrêter la personne qui jette les gens à l'eau, les meilleurs nageurs, comme lui  même, rescapent les gens alors que d'autres s'occupent de les réconforter lorsqu'ils sont sur la rive ( Morin, 1997).

BILAN DES EXPÉRIENCES EN CLSC

L’approche milieu vise deux objectifs principaux inter reliés : 

 - que l’intervention soit proactive avant une trop grande détérioration de la situation; 

- que le milieu de vie des usagers influence la pratique; 

L’approche a aussi deux autres objectifs spécifiques soient :

- favoriser l’intégration sociale des personnes marginalisées 

- maintenir les personnes âgées et les jeunes familles dans leur milieu de vie.

Les modes d’évaluation de l’approche milieu

Les intervenants impliqués dans l’approche milieu, avaient beaucoup de plaisir à faire ce type de travail, plusieurs nous ont dit, comme les intervenants de Normanton, que ça avait été la plus belle période de leur vie professionnelle. Ils avaient hâte de venir au travail et manifestaient beaucoup d’enthousiasme. Par contre, ils se plaignaient que leur type de  travail n’était pas reconnu; en effet les méthodes, utilisées pour receuillir les statistiques, étaient centrées sur le client identifié et des types de services pré identifiés. Elles ne laissaient aucune place  aux interventions, dites informelles, qui prenaient beaucoup d’importance dans leur charge de travail. Nous avons tenté répondre à leurs demandes, avec la préoccupation de ne pas leur ajouter une autre échelle d’évaluation à remplir; nous avions le souci  de leur rendre la tâche la plus facile et conviviale possible.

Par ailleurs, il nous fallait aussi collecter des données qui soient assez fiables pour nous permettre de vérifier si nos objectifs avaient été atteints. Nous nous sommes tournés vers l’instrument, qui est constamment utilisé par l’intervenant, soit son agenda. Nous leur avons construit un agenda, où toute la semaine de travail peut être vue d’un coup d’oeuil et nous y avons ajouté les mentions suivantes : - le lieu de l’intervention (CLSC, domicile, communauté etc …) la modalité ( téléphone, contact etc … ) - la cible de l’intervention ( client identifié, proche, citoyen etc ..) – les collaborateurs ( membre de la famille, aidant naturel, personne pivot etc …) – le type d’intervention ( soutien, référence, crise etc … ) ( voir l’échelle en annexe I).

L’analyse d’agenda d’une semaine typique (ou de la dernière semaine) s’est aussi faite en équipe en demandant aux intervenants d’estimer le nombre d’heures ( sur une total de 35 – 40 heures) (voir annexe II) consacrées aux diverses activités identifiées plus haut. Nous y avons ajouté les mentions suivantes : - Réunions, - Rédaction de rapports, - Services professionnels directs, - Interventions conjointes etc… Cette activité d’analyse des activités professionnelles, faite en groupe, a souvent eu un impact majeur de prise de conscience quia conduit à des changements importants dans la pratique. Surtout lorsque l’on constatait le peu de place qu’occupaient les services directs, par rapport à la rédaction de rapports, les réunions d’équipe et autres. Dans le cas des réunions d’équipe, il  y a souvent eu une prise de conscience que le contenu de ces réunions était surtout d’ordre administratif, plutôt que clinique. Certaines équipes ont décidé de renverser la situation en privilégiant le contenu clinique.   

A t’on développé l’approche pro active ?

Le bilan des expériences rapportées dans ce fascicule nous amène à apporter une réponse largement positive à cette question pour deux raisons :

- une réponse plus rapide à un plus grand nombre de demandes

- une capacité à rejoindre les clientèles à risque

Réponse plus rapide à un plus grand nombre de demandes

Une des premières conséquences de la visibilité et accessibilité accrues des intervenants est une hausse importante des demandes d'aide. L'expérience des CLSC, comme celle des patches, a démontré que, si les citoyens constatent que le praticien est plus facilement accessible, ils n'hésiteront pas à faire appel à ses services.  Ce qui a pour conséquence immédiate de provoquer une hausse considérable des demandes de services allant jusqu'à quintupler en quelques semaines, dans le patch de Dinington, (Bayley et al. 1985),  à tripler au CLSC des Appalaches (Chabot, Mercier et Guay, 1993) et au CLSC des Pays d'en Haut (Chabot, 1996), Pourtant, ces équipes ont non seulement réussi à répondre à toutes ces demandes mais à le faire deux fois plus rapidement ! 

Trois raisons principales peuvent expliquer cette performance : 

-              d'abord les réponses à ces demandes n'ont pas été formalisées, mais ont été du type tac au tac, sans ouverture de dossier

-              la présence dans la communauté locale a réduit le temps consacré aux déplacements

-              le partage de la responsabilité avec les personnes de l’environnement social 

Cette dernière raison est sans doute la plus importante, en effet, sans un changement d’attitude par rapport au partage de responsabilité, l'approche milieu pourrait avoir comme conséquence de conduire les intervenants vers l’épuisement psychologique, à cause de leur plus grande accessibilité. C'est qu'en fait, il ne suffit pas d'assigner les praticiens à une communauté spécifique afin qu'ils soient plus près de leurs usagers, encore faut il qu'ils abandonnent l'exclusivité de la prise en charge.

C’est ce que démontre la recherche de McKenzie (1991). Celui  ci a évalué les conséquences qui ont résulté de la décentralisation des "Child Welfare Services" dans la ville de Winnipeg qui s'est subdivisée en vingt (20) agences locales. Il a démontré que les praticiens peuvent devenir beaucoup plus vulnérables à l'épuisement psychologique parce que plus exposés aux demandes qui augmentent en proportion de leur plus grande visibilité. En effet il a constaté une hausse dans les demandes de services (Hausse de 224.3% comparée à 40,1% en dehors de Winnipeg dans le domaine de l'abus physique et sexuel) ce qui a conduit à un accroissement de la charge de travail des praticiens de 84.2% (leur charge de travail moyenne a été estimée à 165.8 unités alors qu'une charge de 100 unités est considérée comme une charge complète de travail). De plus, selon cette étude,  la moitié du personnel qui procurait des services directs a coté au niveau supérieur sur une échelle d'épuisement émotionnel suite à une expérience de  décentralisation des services, et le taux de changement de personnel a été de 16.9% dès la fin de la deuxième année. 

Rejoindre les clientèles à risque

La dimension proactive de l'approche  milieu permet aux praticiens de rejoindre des personnes avant qu'elles en soient rendues à faire une demande formelle de service. Elle offre donc une réelle possibilité d'entrer en contact avec les clientèles à risque, c'est – à - dire les personnes qui auraient besoin de services mais qui ne le demandent pas. L'approche  milieu peut donc apporter une réponse à cette préoccupation chronique qui frustre praticiens et gestionnaires car elle illustre en quelque sorte l'existence de ce fossé entre le CLSC et la communauté locale qui empêche les CLSC de remplir leur mission d'accessibilité. Plusieurs projets ont clairement mis en évidence cette capacité de l'approche milieu; ainsi le Projet OLO Valleyfield (Leduc et Beauregard, 1989), et le programme périnatalité du CLSC St Léonard (Demers et Lamarre 1988) ont réussi à rejoindre les familles à risque d'abus et de négligence. L'expérience du projet Entraide de quartier (Guay 1991, Guay et Chabot, 1990) de même qu'une expérience similaire avec des agents de quartier réalisée par les services externes de Centre Hospitalier Robert Giffard, ont montré qu'il est plus facile de rejoindre et d'intervenir auprès des clientèles dites "multi problématiques", résistantes au traitement, en étant présent dans la communauté (Brousseau, Chassé et Rochette, 1986). Dans le cas du projet Entraide de quartier, on a constaté que les besoins dans la communauté pour des services directs sont toujours très présents, en particulier pour des interventions dans des situations de crise (Guay, Chabot, 1990). Les projets des CLSC des Appalaches et des Pays d'en haut ont rejoint une clientèle à risque qui ne recevait pas de services du CLSC avant le démarrage du projet (Chabot, Mercier, Guay, 1993, Royer, 1996, Chabot 1996). Il s'agit surtout de deux types de clientèles à risque: les personnes qui vivent des situations de crises que les intervenants ont qualifiées de primaires, principalement relié à des cycles de vies ou des situations transitoires et les situations de crises récurrentes, qui se répètent car les moyens pour réagir à ces situations sont inadaptés et le réseau épuisé ou inexistant. Ces situations sont souvent reliées à des problèmes de toxicomanie, de violence, d'abus. 

A t’on atteint l’objectif que le milieu influence la pratique ?

La réponse à cette question est plus mitigée; d’abord une chose est sûre il s’avère extrêmement difficile de réussir à maintenir une structuration de services basée sur une logique de territoire plutôt que de programmes :

Les CLSC qui ont restructuré tous leurs services en équipes territoire, sont tous revenus, au moins en partie à un fonctionnement par programmes.

Lorsqu'il y a cohabitation de l'approche territoire et de l'approche programme, au sein d'un même CLSC, c'est souvent l'approche programme qui l'emporte, si on se fie aux expériences rapportées, lors des colloques interactifs. De plus, il survient souvent une sorte de clivage entre les équipes territoire et les autres équipes programme du CLSC; il se développe une sorte d'antagonisme entre deux philosophies d'intervention.

Cependant, le projet d'équipe quartier du CLSC Montréal nord pourrait nous amener à changer ce bilan négatif. L'utilisation de certaines stratégies pour impliquer les collègues de l'interne, peut contribuer à atténuer l'effet de clivage; en effet, les intervenants  milieu invitent systématiquement leurs collègues à les accompagner lors des tournées.

La raison en est facile à comprendre, c’est du haut (Ministère et régies régionales) que proviennent les forces d’influence sur la pratique. En effet, les modes de pratique et l'organisation des services sont structurés au moyen d'un processus qui va du haut vers le bas. 

Les programmes sont conçus au ministère, en identifiant les besoins à partir d'enquêtes de besoin ou d'études épidémiologiques, en réunissant des comités d'experts et en développant des programmes de services qui s'inspirent d'initiatives mises sur pied par les groupes communautaires. Ces programmes, selon un processus appelé top down approach sont transmis, du haut vers le bas, aux régies qui les retransmettent aux établissements pour leur mise en application. De plus, les valeurs et l'esprit qui animaient les expériences communautaires, dont on s'est inspirés, disparaissent lorsqu'elles sont formalisées en structures de services. 

Des sociologues qui ont étudié notre système de soins, ont noté ce phénomène, typique au Québec, qui consiste à aspirer les initiatives développées par les groupes communautaires et à les transformer en programmes de services. L'exemple classique est la clinique Pointe Saint Charles, qui a inspiré le modèle CLSC, la clinique Pointe Saint Charles a pourtant a refusé de se constituer en CLSC tellement elle se reconnaissait peu dans le modèle CLSC. 

Plusieurs inconvénients découlent de l’approche – programme :

 - la structuration de services sous forme de programmes fait en sorte que les besoins des clients sont considérés comme homogènes, et les réponses à y apporter sont conçues de façon uniforme et standardisée; ce qui ne facilite pas la prise en compte de la diversité des milieux de vie et ne favorise la flexibilité et l'adaptabilité des réponses aux besoins individuels. 

- le processus du haut vers le bas empêche le processus d'appropriation car il ignore les initiatives réalisées sur le terrain par les praticiens de première ligne. En effet, même si les solutions conçues par nos experts réunis en comité, sont souvent très pertinentes et appropriées; le fait qu'elles parviennent aux praticiens sous une forme pré  définie, a un effet démobilisateur.

- le CLSC n'est pas un organisme qui appartient au milieu mais est un membre du secteur public ; il est donc régi par des règles extérieures à la communauté. Il s'agit donc de développer des rapports de bon voisinage avec les résidents de la communauté qui ne partagent pas les mêmes conditions de vie. Les rapports de bon voisinage signifient qu’il faut essayer d'éviter le dédoublement, la récupération ou le dumping ;  c'est ce que Godbout appelle le communautaire public (Godbout et Guay, 1989). Selon Jacques Godbout, il faut donc abandonner l’utopie de la fusion Etat  Société qui a orienté la toute première phase de l'implantation des CLSC (Godbout et Guay, 1989), inspirée par l'expérience de la clinique Pointe St Charles.

- les programmes définissent la façon dont les services sont rendus, ce qui a comme effet de déformer la nature du besoin d’où origine la demande d’aide. En effet, certaines recherches démontrent que le cheminement critique des usagers et de leurs proches se caractérise par un processus d'adaptation graduelle de leurs besoins aux services offerts, à mesure qu'approche l'étape de demande de service. 

A t’on favorisé l’intégration sociale des personnes marginalisées ?

Deux projets semblent démontrer que cet objectif peut être atteint au moyen de l’approche milieu. Au départ, le projet « Parrainage social et entraide de quartier » avait comme objectif spécifique de  solliciter et soutenir la participation des résidents d’un quartier au processus de réinsertion sociale des patients psychiatriques. Par la suite d’autres personnes marginalisées se sont intégrées au projet et les résultats, concernant l’évaluation d’impact, démontrent une amélioration importante en ce qui concerne les situations de marginalisation et d’exclusion sociale.

Les agents d’intégrations sociale (case managers) Parrainage des équipes MRC de Chaudière  Appalaches ont reçu une formation qui s’inspirait directement de l’expérimentation qui s’est déroulée dans le cadre du projet « Parrainage social et entraide de quartier ». Il s’agit d’une une forme particulière de suivi communautaire qui est centrée sur le réseau social et les systèmes informels d’aide de voisinage. Il n’y a pas eu d’évaluation spécifique sur cet aspect, mais on peut présumer que la situation de marginalisation s’est améliorée.

A t’on amélioré le maintien des personnes âgées dans leur milieu de vie ?

L’influence de l’approche programme est particulièrement marquée pour la clientèle des personnes âgées ; en effet c’est la programmation qui définit toute la pratique, à l’intérieur de balises très serrées et de procédures standardisées qui laissent peu de marge de manœuvre. 

La demande d’aide  doit se conformer au service pré – défini, aide à domicile et/ou hébergement,  qui est la seule porte d'entrée pour recevoir de l'aide. La conséquence est que le besoin de départ disparaît pour se transformer en demande de service. On a constaté en effet, lorsqu’on fait une analyse rétrospective du processus qui mène à une demande d’aide que, plus on recule dans le temps, plus les besoins des personnes âgées sont divers et variés. Par contre, il y a un rétrécissement graduel des besoins à mesure qu’on se rapproche de la demande d’aide 

Idéalement, le rapport entre l'usager et l'intervenant professionnel devrait se définir 

- comme l'expression d'un besoin de la part de l'usager

- l'écoute du besoin de la part de l'intervenant

- et une intervention qui répond au besoin

Or, le rapport usager  intervenant professionnel s'est perverti, se transformant en un rapport entre un consommateur de services et un distributeur de services. Puisque l'offre crée la demande, l'expression du besoin se transforme en une demande de services, parfois une réclamation de ce service, puisque nos programmes de services sont devenus la porte d'entrée dans le système. 

 

Il n’est pas possible de vérifier si l’implantation de l’approche milieu a pu aider à améliorer le maintien ders personnes âgées dans leur milieu de vie car, pour donner une réponse spécifique à cette question, il aurait fallu faire une évaluation d’impact spécifique. Par ailleurs, on sait que la philosophie de l’approche milieu a eu moins d’impact sur la pratique auprès des personnes âgées, et que les interventions informelles sont beaucoup moins fréquentes. 

Dans le projet du CLSC des Appalaches, nous avons tenté de recentrer la pratique sur les réseaux de voisinage, faisant une étude des réseaux sociaux de vingt – cinq personnes âgées, (Desbois, 1992), dans un des villages. Les résultats ont démontré que le vieillissement de la population et l'éloignement des enfants (privant ainsi leurs parents d'une source importante d'aide et de support) favorisent la présence de réseaux de support plus susceptibles de devenir dépendants envers les services sociaux et de santé.  Cependant, le réseau naturel d'aide existant au sein de cette communauté constitue un atout majeur car il offre des sources diversifiées de support permettant à plusieurs personnes âgées de faire face à nombre de leurs besoins.

Cependant cette recherche n’a pas eu l’impact souhaité, c’est – à – dire développer une forme de pratique moins centrée sur le programme standardisés et plus orientée vers les réseaux sociaux. La prédominance du programme très structuré et balisé n’a pas permis d’instaurer une pratique qui aurait tenté de complémenter et pallier aux insuffisances du réseau social et éviter ainsi que les personnes âgées deviennent dépendantes des services, comme les résultats de la recherche le prévoyaient. Par ailleurs l’approche milieu a beaucoup mis l’accent sur la nécessité de faire du proche soignant (souvent appelée aidante naturelle) une cliente identifiée privilégiée vers qui diriger les services.

Conclusion

En conclusion, le bilan de nos expériences nous amènent à remettre en question la façon dont l‘Etat a conçu et structuré les services de première ligne. En effet, si la mission fondamentale des CLSC  est définie comme étant de procurer des services proches du milieu, pourquoi lui avoir imposé la même compartimentation par programmes que celle qui existe au ministère ? La structuration des services de première ligne sous forme de programmes rigides et standardisés, souvent avec budgets attachés, enlève la flexibilité nécessaire pour favoriser l’adaptation des services aux réalités locales.

Que reste t’il d’une organisation de services structurées à partir des communautés locales ?

Les CLSC qui ont restructuré tous leurs services en équipes territoire, sont tous revenus à un fonctionnement par programmes. À ma connaissance un seul CLSC en Abitibi « Aurores boréales » a continué dans sa démarche de décentralisation des équipes. En effet,  en consultant leur site web, on peut constater que ce CLSC a dix points de service (Régie régionale de la santé et des services sociaux Abitibi - Témiscamingue, 2002) . Par ailleurs, deux CLSC, Montréal Nord et Sherbrooke (Morin et al. , 2012), ont choisi de désigner des travailleurs de quartier dans les quartiers problématiques. 

Lorsqu'il y a cohabitation de l'approche territoire et de l'approche programme, au sein d'un même CLSC, c'est souvent l'approche programme qui l'emporte, si on se fie aux expériences rapportées, lors des colloques interactifs. De plus, il survient souvent une sorte de clivage entre les équipes territoire et les autres équipes programme du CLSC; il se développe une sorte d'antagonisme entre deux philosophies d'intervention. 

Cependant, les projets d'équipe quartier des CLSC Montréal nord et de du CSSS de Sherbrooke ont eu recours à des stratégies efficaces pour impliquer les collègues de l'interne, peut contribuer à atténuer l'effet de clivage; en effet, les intervenants - milieu invitent systématiquement leurs collègues à les accompagner lors des tournées ou à co – animer des groupes de soutien dans les communautés locales.

La question qui demeure est la suivante : que reste – il du mode de pratique en l’absence d’équipes territoire ? est – il possible de conserver une pratique milieu ?

La réponse à cette question n’est pas définitive, mais certaines observations et certains résultats de recherche, quoique incomplets; semblent fournir une réponse positive à cette question. 

En effet, une recherche a pu démontrer que plusieurs éléments de l’approche milieu ont persisté, dans la pratique des intervenants du CLSC des Appalaches, quatre années après la fin du projet. Le même constat a été fait concernant la pratique des intervenants d’une équipe- territoire, encore partiellement fonctionnelle dix ans plus tard, au CLSC des Etchemins (Royer, 1996).

L'observation de la pratique des agents de réinsertion sociale (case managers)  des équipes MRC en Beauce Appalaches en fournit une autre démonstration. En effet, même s'il n'y a pas eu de décentralisation en tant que telle, puisque les équipes couvraient un territoire de MRC; il a été quand même été possible d'implanter l'approche milieu au niveau de la pratique terrain des intervenants de la part des intervenants. 

Il semble donc que, même en l’absence de cette condition éminemment favorable que constitue la structuration en équipes territoire, il est possible d’avoir une pratique qui intègre les principes de l’approche milieu. Il est clair que la raison principale de ces résultats est la bonne connaissance préalable des réseaux de la communauté, de la part des intervenants. Dans le cas des équipes MR, on peut penser aussi au fait que le promoteur des équipes MRC était un intervenant terrain qui a fait partie des pionniers qui ont implanté l'approche milieu et qu'une formation intensive donnée sur l'approche milieu, avait été intégrée à la formation clinique. 

Cependant cette recherche et ces observations ne nous permettent pas de déterminer quels sont les éléments qui ont été conservés et ceux qu’on a dû abandonner. Il faudra des recherches plus exhaustives pour pouvoir obtenir une réponse plus précise à ce sujet. 

Il apparaît par ailleurs qu’une forme de pratique, particulièrement pertinente et adaptée pour des services de première ligne comme les CLSC, favorise une influence importante du milieu de vie sur la nature des interventions; il s’agit de l’accompagnement dans le milieu de vie. 

L’approche milieu comme mode de pratique intégrée au suivi communautaire

L’accompagnement dans le milieu de vie.

Cette forme de pratique comporte plusieurs caractéristiques  qui favorisent l’influence du milieu de vie sur la pratique :

-   L’accompagnement dans le milieu de vie permet une évaluation plus pertinente et appropriée de la situation problématique, parce - qu'elle tient compte tous les éléments du contexte. 

-   L’accompagnement dans le milieu de vie rend possible une réponse appropriée aux besoins changeants et contextualisés des personnes; les réajustements rapides sont donc facilités de même que la rétroaction immédiate aux personnes. Il est donc facile de réagir rapidement, sur le champ, au moment même où les difficultés se vivent, et de tailler ses services sur mesure aux besoins spécifiques. Il en découle une flexibilité et une adaptabilité qui accroissent considérablement l'efficacité et la pertinence des interventions.

-   L'accompagnement lors des épisodes difficiles constitue la meilleure stratégie pour gagner la confiance des personnes, des familles et de leur réseau social. En effet, si l’intervenant accompagnateur persévère et continue d’accompagner les personnes et les familles malgré la sévérité des crises, il leur démontre qu'il est prêt à partager les difficultés avec elles et même se mouiller et prendre des risques le cas échéant. 

-   L’accompagnement dans le milieu de vie rend plus facile de se centrer sur les capacités d’adaptation et les compétences des personnes, plutôt que sur leurs pathologies ou leurs déficits. 

Cependant l’accompagnement dans le milieu de vie ne garantit pas automatiquement l’atteinte de l’objectif; car il peut arriver que l’intervenant transporte avec lui, dans la communauté, ses formes habituelles de pratique. Plusieurs conditions sont nécessaires pour assurer que la pratique est influencée par les conditions de vie :

-   Un programme intensif de formation, pour développer une pratique inspirée des principes de l’approche milieu

-   Réserver une période de temps pour prendre contact avec les réseaux informels de la communauté

-   Alléger la charge de cas afin que de diminuer la pression à fournir des services un par un

-   Aménager une organisation du travail qui favorise que chaque intervenant travaille toujours dans la même communauté locale. 

Les services de proximité seraient particulièrement pertinents pour maintenir les personnes âgées dans leur milieu de vie.

Il serait possible d’implanter des équipes de village et de quartier, composées d’infirmières et d’auxiliaires familiales. Les infirmières seraient spécialisées dans les maladies chroniques  de la vieillesse et devraient avoir un accès facile et rapide aux services de médecins spécialisés en gériatrie. L’intervention pro active et en amont permettrait d’identifier les signes précurseurs d’une détérioration de l’état de santé de même que l’affaiblissement du réseau social de soutien au moyen de la grille de Wenger dont nous avons parlé plus haut. Ces services de proximité permettraient d’enlever beaucoup de pression sur nos services publics engorgés par la croissance des soins à prodiguer aux personnes âgées.

Anecdotes: comment j'ai vécu ces expériences

Le lecteur, intéressé à connaitre comment j'ai vécu ces expériences, peut aller sur le site :

jerome.guay, squarespace.com

Il y trouvera des anecdotes se référant à ces projets, entre autres:

- Le projet

- Approche milieu

 

 

 

Références

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